Sélection variétale du colza au Maroc Dr Abdelghani Nabloussi (Chercheur, Coordinateur de l’UR. APCRG)

Dr Abdelghani Nabloussi (Chercheur, Coordinateur de l'UR. Amélioration des plantes et conservation des ressources phytogénétiques, INRA Meknès)

Dr Abdelghani Nabloussi (Chercheur, Coordinateur de l’UR. Amélioration des plantes et conservation des ressources phytogénétiques, INRA Meknès)

Introduction

Le Maroc accuse un grand déficit en matière d’huiles et de protéines végétales issues des graines oléagineuses. Actuellement, le tournesol est l’unique culture oléagineuse pratiquée dans des zones limitées, avec une superficie moyenne inférieure à50.000 ha. En effet, depuis l’année 2000, date de mise en œuvre de la réforme de la filière oléagineuse, le colza et le carthame n’ont plus bénéficié du soutien de l’Etat alloué jusqu’à nos jours au tournesol. Durant les dix dernières années, la production nationale moyenne d’huile issue des graines locales de tournesol couvre à peine 1,5 à 3% des besoins globaux du pays en huiles alimentaires estimés à plus de 410.000 t. La production locale annuelle de l’huile d’olive avoisinant les 80.000 tonnes assure moins de 20% des besoins du pays. Le Maroc se trouve donc contraint d’importer le reste de ces besoins de l’étranger. En revanche, de par le passé, le colza et le carthame se cultivaient aussi à côté du tournesol et leurs graines ont produit 14% et 6% des besoins en huiles alimentaires en 1990 et 1997, respectivement. Les importations massives sous forme de graines oléagineuses ou d’huile brute en vue de combler le déficit en huiles alimentaires coûtent très cher à l’Etat, avec des dépenses en devise dont la valeur peut dépasser quatre milliards de dirhams annuellement. Au vu de cette forte dépendance vis à vis de l’extérieur, ayant des inconvénients aussi bien d’ordre économique que politique, la promotion et le développement des cultures oléagineuses annuelles s’avèrent incontestablement une voie stratégique et ne peuvent être qu’une des filières prioritaires de la politique agricole marocaine (plan Maroc vert) à même de pallier à cette situation. C’est ainsi que le gouvernement et les professionnels de la filière oléagineuse (Fédération interprofessionnelle des cultures oléagineuses) ont convenu, tout dernièrement,  d’entreprendre un vaste programme de développement de cette filière à l’horizon 2020. Ce programme comporte des actions et mesures globales et cohérentes touchant toute la chaîne de valeur de la filière oléagineuse. L’objectif est de définir un cadre de référence pour la relance et le développement de la filière oléagineuse impliquant l’ensemble des partenaires intervenant dans cette filière.

Côté recherche, l’INRA est partie prenante dans le processus de la promotion et de développement du secteur des oléagineux à travers la diversification des cultures oléagineuses mises en recherche-expérimentation, la mise au point de variétés améliorées et de techniques culturales appropriées, répondant aux principes de développement durable et de protection de l’environnement. Parmi ces espèces oléagineuses, le colza est une culture en mesure d’offrir une bonne alternative pour diversifier et intensifier les cultures oléagineuses annuelles puisqu’elle peut s’insérer facilement dans l’assolement. De par le monde, c’est une culture rentable et évolutive grâce au dynamisme et à la pertinence des recherches scientifiques et agronomiques, particulièrement en matière d’amélioration génétique et de biotechnologie végétale.

Amélioration génétique du colza au Maroc

Objectif

L’objectif final du programme d’amélioration génétique du colza est le développement de variétés marocaines très productives, riches en huile et de qualité ‘00’. Qualité ‘00’ ou canola, selon les normes internationales, veut dire que la teneur en acide érucique doit être inférieure à 2% du total d’acides gras et la teneur en glucosinolates doit être inférieure à 30 mmol/g de tourteau. Ces variétés sont destinées à des zones de bour favorable, notamment le Saïs, le Gharb et le Loukkos.

Stratégie de recherche

Le colza est une espèce partiellement allogame, avec un taux d’autogamie qui dépasse 60%. Chaque fleur du colza est autofertile, mais dans des conditions environnementales particulières (présence d’abeilles), il peut y avoir une pollinisation par du pollen extérieur. Cependant, cette pollinisation croisée n’excède pas 30%. Dans notre programme d’amélioration, entamé depuis le début des années 90, le colza a été traité comme étant une plante autogame, et la lignée pure est le type variétal recherché. La pollinisation croisée n’est pas essentielle en cas de développement de lignées pures et les autofécondations successives nécessaires pour l’aboutissement à une telle structure génétique ne montrent pas d’effet dépressif de consanguinité. Néanmoins, dans une étude récente, le développement et l’utilisation des variétés synthétiques au Maroc ont été proposés comme une alternative pour exploiter au moins une partie de l’hétérosis existant chez le colza et pour une adaptation plus large aux conditions environnementales.

Développement de lignées pures

Le germoplasme de départ est constitué de variétés étrangères introduites de différents pays d’Europe et d’Amérique. Deux méthodes de sélection ont été adoptées, sélection directe et sélection après hybridation. La sélection directe est effectuée à partir d’une population hétérogène dérivée des recombinaisons et brassages entre les différentes introductions, à travers des pollinisations libres en présence massive d’abeilles. La sélection après hybridation commence par des croisements dirigés entre parents choisis à partir du matériel végétal introduit et évalué dans différents environnements. En moyenne, une vingtaine de croisements sont réalisés annuellement. Après obtention des hybrides F1, l’avancement des générations se fait par des autofécondations successives selon la méthode de sélection pedigree. Les plantes sélectionnées sont ensachées pour forcer l’autofécondation (Photo 1). Les principaux critères de sélection sont le rendement grain, la

Photo3. La variété 'Moufida'

Photo3. La variété ‘Moufida’

teneur en huile, la composition en acides gras de l’huile et la teneur en glucosinolates du tourteau. En 2000/01, dix lignées de la génération F9 ont été retenues pour les essais de rendement. Le rendement grain moyen de ces lignées varie de 11,57 à 28,23 q/ha, alors que la teneur en huile moyenne se trouve entre 44,74 et 48,74%. Deux variétés de colza, codées INRA-CZ409 (dérivée de la sélection directe) et INRA-CZ289 (dérivée de la sélection après hybridation), ont pu être sélectionnées de ces lignées et par la suite proposées pour inscription au Catalogue Officiel. Dans six environnements différents, ces deux variétés ont produit, respectivement, un rendement grain de 25 et 19 q/ha et une teneur en huile de 52 et 51%. Elles ont été enregistrées au Catalogue Officiel, en 2008 et 2009, respectivement. Elles ont été nommées ‘Narjisse’ et ‘Moufida’ et constituent les premières variétés ‘00’ de colza d’origine marocaine (Photos 2 et 3).

Photo2. La variété 'Narjisse'

Photo2. La variété ‘Narjisse’

Actuellement deux nouvelles lignées sélectionnées (INRA-CZH2 et INRA-CZH3) sont en cours de multiplication avant soumission au Catalogue Officiel dès la campagne 2013-2014.

Développement de variétés synthétiques

En parallèle à la mise au point de lignées pures, un plan de développement de variétés synthétiques a été également conçu. Dans les conditions marocaines, le développement et l’utilisation de variétés

Photo3. La variété 'Moufida'

Photo3. La variété ‘Moufida’

synthétiques ont été proposés comme moyen d’exploiter au moins une partie de l’hétérosis existant chez le colza. Cela constituerait un compromis entre le développement des lignées pures et des variétés hybrides. Les hybrides ne peuvent être envisagés dans lesdites conditions, sachant la difficulté, la disponibilité et le coût élevé des systèmes effectifs de contrôle de pollinisation en ce qui concerne la production des semences hybrides commerciales. De même, ces variétés synthétiques sont plus adaptées et plus productives que les lignées dans des conditions environnementales aléatoires.

La sélection récurrente ou cyclique appliquée aux populations est indiquée pour l’amélioration de ces populations. Elle a été suggérée en vue d’augmenter la fréquence des gènes favorables pour des caractères quantitatifs. Pour les espèces partiellement allogames, comme le colza, la sélection récurrente alternant des générations d’autofécondation et autres de pollinisation libre, est recommandée.

Dans notre programme, les lignées qui constitueraient les composantes ou les parents de ces variétés synthétiques seront obtenues dans le schéma de sélection récurrente appliqué à long terme ou dans le schéma de sélection généalogique adopté pour la mise au point de lignées élites. Ces lignées sont sélectionnées sur la base de leur aptitude générale à la combinaison (AGC). La génération F1 est la syn1. La semence commercialisée est constituée de la génération syn2 ou syn3. Dans notre cas, quatre à six lignées parentales seraient retenues, ce qui permettra de réaliser 6 à 15 différents croisements simples F1. Un nombre similaire de semences de chaque croisement sera pris et un mélange de l’ensemble de semence servira pour former la syn1. Une autre stratégie alternative consiste à castrer et polliniser chacune des lignées retenues par le mélange de pollen de toutes les autres lignées. L’ensemble des semences ainsi obtenues forme la population syn1. C’est dans cette voie, que six et quatre inter-croisements différents ont été réalisés en 2002 et 2007, respectivement. La semence de la génération (syn2) est produite à partir des pollinisations libres entre les plantes établies de la semence syn1. Ces pollinisations sont assurées notamment grâce aux abeilles.

Affiche de présentation de Narjisse et Moufida, deux variétés INRA de colza

Affiche de présentation de Narjisse et Moufida, deux variétés INRA de colza

Parmi les différentes populations synthétiques développées, les variétés INRA-CZSyn1 et INRA-CZSyn3 se sont montrées très intéressantes dans différents environnements, aussi bien pour le rendement en grain (23,34 et 26,28 q/ha, respectivement) que pour la teneur en huile (47,34 et 45,50%, respectivement). Les valeurs moyennes respectives du rendement en huile, soit 11,05 et 11,96 q/ha, sont supérieures à celles du témoin, la variété ‘Narjisse’, (10,46 q/ha). Elles sont des variétés synthétiques à base génétique plus large que celle de la variété témoin (lignée), et donc pourraient manifester une adaptation plus élevée aux différentes contraintes biotiques et abiotiques du milieu où elles sont cultivées. En outre, elles sont de type canola ou ‘00’. Par conséquent, ces deux nouvelles obtentions ont d’ores et déjà fait l’objet d’une demande d’inscription au Catalogue Officiel en 2012-2013.

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