TOLERANCE GENOTYPIQUE A UN OMBRAGE LEGER CHEZ LA FEVE (Vicia faba L.) : UNE PISTE POUR DES SYSTEMES AGROFORESTIERS MAROCAINS

Par : Oumaima Chetto, Wafae Sellami, Khalid Daoui, Abdelghani Nabloussi, Mohamed El Fechtali, Rachid Razouk (INRA CRRA Meknès)

Ir Oumaima Chetto Amélioration génétique des légumineuses alimentaires

La fève (Vicia faba L.) constitue une composante essentielle de l’agriculture marocaine, couvrant approximativement 42 % des superficies consacrées aux légumineuses alimentaires (Chetto et al., 2024a). Son importance stratégique repose sur trois aspects fondamentaux : sa valeur nutritionnelle, sa contribution à la sécurité alimentaire nationale et son rôle dans la fixation biologique de l’azote atmosphérique. Cette capacité à fixer l’azote, commune aux légumineuses, représente un atout agronomique significatif dans les rotations culturales, permettant une amélioration de la fertilité des sols et une réduction de la dépendance aux fertilisants azotés.

Le patrimoine génétique des fèves cultivées au Maroc se caractérise par des variétés présentant des différences notables en termes de précocité, de morphologie des graines, de productivité et de tolérance aux contraintes environnementales (Chetto et al., 2024b). Cette diversité constitue un atout majeur pour l’adaptation aux conditions agro-écologiques locales, particulièrement face aux défis posés par le changement climatique et la raréfaction des ressources hydriques. La sécheresse affecte fortement les cultures pluviales comme la fève, rendant indispensable l’identification de stratégies d’atténuation du stress hydrique.

L’ombrage est un facteur environnemental qui influence la physiologie des plantes. Des études menées en conditions méditerranéennes ont montré qu’il affecte divers processus physiologiques et biochimiques, impactant la production de biomasse et le rendement en grains. Au Maroc, Ajana et al. (2024) ont démontré que la réponse de la fève à l’ombrage dépend du génotype, de l’intensité de l’ombre et des conditions climatiques. Un ombrage modéré (50 %), appliqué au moment de la floraison, réduit le rendement de 31,17 %, tandis qu’un ombrage intense (90 %) entraîne une baisse de 53,34 %. Toutefois, certaines variétés, comme ‘Hiba’ et ‘Zina’, présentent une meilleure tolérance à la réduction de lumière, contrairement à ‘Extra hâtive’ et ‘Defes’.

Par ailleurs, Nasrullahzadeh et al. (2007) ont rapporté que de faibles niveaux d’ombrage (18 % à 48 %) peuvent, dans certaines conditions, améliorer le rendement en grains de certaines variétés de fève, en prolongeant la période de remplissage des grains et en augmentant la surface foliaire.

Au Maroc, l’effet d’un ombrage léger (< 30 %) demeure globalement peu documenté. Ce niveau d’intensité pourrait offrir un compromis intéressant entre la réduction du stress hydrique et le maintien d’une photosynthèse efficace, en limitant l’évapotranspiration tout en favorisant la croissance. L’objectif de cette étude est d’identifier les génotypes les plus performants sous ombrage léger (20 %) afin d’orienter leur utilisation dans des systèmes agricoles intégrant une réduction du rayonnement solaire.

Matériel et Méthodes

L’expérimentation a été conduite au Centre Régional de la Recherche Agronomique de Meknès relevant de l’INRA, afin d’évaluer l’impact de l’ombrage sur six génotypes de fève, incluant trois variétés inscrites au catalogue officiel (Lobab, Yasmine et Raeda) et trois lignées avancées (Syn2, LE22 et FH1032). L’essai a été réalisé en pots, selon un dispositif entièrement randomisé, avec 20 répétitions par génotype. Deux conditions environnementales contrastées ont été appliquées : plein air, où les plantes, exposées directement aux conditions naturelles, recevaient 100 % du rayonnement solaire, représentant le mode de culture conventionnel au Maroc ; et ombrage léger, sous une ombrière installée au sein du centre, réduisant l’intensité lumineuse d’environ 20 % par rapport au rayonnement incident. Le substrat utilisé correspond au sol type du centre. L’irrigation a été assurée une fois par semaine jusqu’au stade de formation des gousses, puis deux fois par semaine à partir de ce stade.

Résultats et Discussion

Développement végétatif et productif sous ombrage et en plein air

L’analyse des résultats révèle une relation entre les conditions d’ombrage et les performances des variétés de fève étudiées, tant sur le plan végétatif que productif. En tant qu’espèce à croissance indéterminée, la fève exploite avantageusement les conditions ombragées pour prolonger son cycle végétatif et maintenir une croissance vigoureuse lorsque les ressources en eau et en nutriments demeurent accessibles. Ce phénomène se manifeste par une hauteur et une ramification plus importantes des plants conduites sous ombrage (Figure 1-A).

Figure 1 : Effet des conditions d’ombrage sur la hauteur des plantes et le rendement des génotypes de fèves

Dans ce contexte, l’augmentation de l’indice de surface foliaire (LAI) observée chez certains génotypes sous ombrage reflète une capacité à capter efficacement la lumière diffuse, contribuant ainsi à une photosynthèse soutenue malgré la réduction du rayonnement direct. En ce qui concerne le rendement, les résultats montrent un effet globalement favorable de l’ombrage sur la productivité moyenne par plante. Plusieurs génotypes évalués présentent des performances agronomiques supérieures sous conditions ombragées comparativement à celles obtenues en absence d’ombrage. En particulier, les génotypes Syn2 (rendement en grain de 120 g/plante sous filet contre 108 g/plante en plein air), Lobab (108 g/plante contre 102 g/plante), Yasmine (117 g/plante contre 108 g/plante) et FH1032 (117 g/plante contre 110 g/plante) ont montré un potentiel pour des systèmes de culture intégrant des conditions de luminosité atténuée, telles que les systèmes agroforestiers ou les cultures associées. Ces résultats suggèrent que la modération du stress thermique et l’amélioration des conditions microclimatiques favorisent leur développement et leur capacité productive (Figure 1-B). À l’inverse, la variété Raeda ainsi que la lignée élite LE22 présentent un profil de réponse différentiel, caractérisé par des rendements supérieurs en conditions de plein air. En effet, Raeda affiche une productivité de 114 g/plante en plein luminosité contre 102 g/plante sous ombrage, tandis que LE22 maintient une productivité constante de 108 g/plante quel que soit le régime lumineux. Cette différence peut être attribuée à leurs caractéristiques génétiques spécifiques. Raeda, variété la plus récemment inscrite au catalogue, et LE22, lignée élite en cours de purification, ont été développées spécifiquement pour des environnements plus contraignants et arides. Cette adaptation se traduit généralement par une stratégie d’allocation des ressources plus conservatrice, où les plantes privilégient la survie et la résilience face aux conditions difficiles plutôt que l’investissement massif dans la production végétative ou reproductive. Ces contrastes dans les réponses variétales soulignent l’importance de considérer l’interaction génotype-environnement dans la sélection et le déploiement des variétés de fève selon les conditions agro-écologiques ciblées.

Conclusion

Cette étude démontre qu’un ombrage léger peut constituer une stratégie agronomique efficace pour optimiser la croissance et le rendement de certaines variétés de fèves cultivées au Maroc. Les génotypes Syn2, Yasmine, Lobab et FH1032 ont montré une meilleure performance sous ombrage, suggérant une plasticité favorable à des systèmes agroforestiers ou à des cultures associées. À l’inverse, Raeda et LE22 ont affiché une préférence pour les conditions de pleine luminosité, illustrant une adaptation différenciée aux régimes lumineux. Ces résultats soulignent l’importance d’intégrer l’interaction génotype-environnement dans les programmes de sélection variétale, en vue d’adapter la culture de la fève aux contextes agro-écologiques variés et aux défis liés au changement climatique.

En termes d’application pratique, il est recommandé aux agriculteurs engagés dans des systèmes agroforestiers de privilégier les variétés Yasmine et Lobab, déjà inscrites au catalogue. Les lignées avancées Syn2 et FH1032, qui présentent une bonne tolérance à la réduction du rayonnement solaire, sont quant à elles recommandées pour une inscription au catalogue national et pourraient constituer d’excellentes options pour les zones agroforestières et les systèmes de culture associés. Les sélectionneurs sont ainsi encouragés à intégrer des critères d’adaptation à l’ombrage dans les schémas d’évaluation variétale, afin de répondre aux besoins croissants en matière d’agriculture durable et intégrée.

Références

Chetto, O., Kouighat, M., Belqadi, L., & Nabloussi, A. (2024a). Current state, challenges and opportunities to improve faba bean cultivation in Morocco: A review. Legume Research, 1-15. https://doi.org/10.18805/LRF-829

Chetto, O., Belqadi, L., Fatemi, Z. E. A., Charafi, J., Kouighat, M., Najmi, A., El Fechtali, M., Houmanat, K., Nabloussi, A. (2024b). Assessment of elite faba bean lines for enhanced productivity and resilience in contrasting challenging environments using phenotypic and molecular markers. Journal of Agriculture and Food Research, 18

Ajana, G., El Figuigui, J., Laasli, S. E., Fatemi, Z., & Daoui, K. (2024). Effect of genotypes and artificial shading during flowering stage on the productivity patterns of faba bean (Vicia faba L.) under Mediterranean conditions. Journal of Applied and Natural Science, 16(4), 1745–1757. https://doi.org/10.31018/jans.v16i4.6063

Nasrollahzadeh, S., Ghassemi-Golezani, K., Javanshir, A., Valizadeh, M., & Shakiba, M. R. (2007). Effects of shade stress on ground cover and grain yield of faba bean (Vicia faba L.). Journal of Food, Agriculture and Environment, 5(1), 337–340.

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