RENFORCER LA RESILIENCE DU BLE A LA SECHERESSE : EFFETS COMBINES DES PGPR ET DE L’HYDROGEL

Par Khaoula Habbadi (INRA CRRA Meknès)

Sécheresse croissante, rendements en chute libre : comment assurer l’avenir du blé au Maroc ?

Dr Khaoula Habbadi
Chercheure en protection des plantes

Au Maroc, comme dans de nombreuses régions méditerranéennes, l’agriculture est de plus en plus menacée par la sécheresse. Les précipitations deviennent rares et irrégulières, les températures augmentent, et les épisodes de stress hydrique s’intensifient. Le blé tendre (Triticum aestivum L.), pilier de notre alimentation et de notre économie, figure parmi les cultures les plus vulnérables à cette situation. Dans ce contexte, nous avons mené une recherche expérimentale à l’INRA de Meknès, en collaboration avec l’ICARDA, pour évaluer des solutions innovantes, à la fois simples, efficaces et durables. Deux approches complémentaires ont été testées : l’utilisation de bactéries bénéfiques du sol (PGPR = Plant Growth-Promoting Rhizobacteria) et celle d’un hydrogel capable de retenir l’eau dans le sol (Habbadi et al., 2024). Le montage expérimental, basé sur un dispositif en blocs complets randomisés (DBCR), est illustré dans la Figure 1.

Figure 1 : Montage expérimental de l’essai (Dispositif en blocs complets randomisés – DBCR).

Des alliées invisibles : les PGPR au service du blé

Les PGPR sont des bactéries bénéfiques vivant à proximité des racines, capables de favoriser la croissance des plantes de manière naturelle. Leur efficacité est particulièrement appréciée dans les contextes de stress abiotiques, comme la sécheresse. L’étude a porté sur deux souches isolées de la rhizosphère du palmier dattier : Serratia nematodiphila (souche GAB111) et Pseudomonas koreensis (souche GAJ222). Ces deux bactéries ont démontré des performances remarquables en stimulant la croissance du blé en conditions de stress hydrique (Habbadi et al., 2024).

Ces micro-organismes jouent un rôle essentiel dans la stimulation de la croissance végétale, notamment en conditions climatiques difficiles. Ils agissent à plusieurs niveaux. D’abord, en participant à la fixation de l’azote atmosphérique, un processus naturel qui rend cet élément nutritif directement assimilable par les plantes. Ensuite, en facilitant la solubilisation du phosphore et du potassium présents dans le sol, ce qui améliore leur disponibilité. Par ailleurs, en produisant des hormones végétales telles que les auxines et les cytokinines, qui interviennent respectivement dans le développement des racines et la croissance des parties aériennes. Enfin, en renforçant la tolérance des plantes au stress hydrique, notamment par la stimulation du système racinaire.

Résultats observés sur la germination et la croissance

Les graines de blé traitées avec les PGPR ont montré des taux de germination significativement supérieurs à ceux des témoins non traités. Dans le cas de la souche GAB111, le taux de germination a atteint 95 %, contre 79 % pour le témoin (Habbadi et al., 2024). Par ailleurs, les plantules issues des graines traitées ont développé des systèmes racinaires plus longs, une biomasse plus élevée et une croissance aérienne accélérée. Ces résultats confortent les nombreuses études antérieures mettant en évidence le rôle positif des PGPR dans la germination et l’établissement initial des cultures. La Figure 2 présente une vue illustrative de l’essai en pots et la croissance du blé sous les différents traitements.

Figure 2 : une vue illustrative de l’essai en pots et la croissance du blé sous les différents traitements.

L’hydrogel : un réservoir d’eau intelligent pour les racines

Les hydrogels sont des matériaux polymères superabsorbants, capables de retenir d’importantes quantités d’eau tout en maintenant leur structure. Grâce à leur réseau tridimensionnel, ils agissent comme des éponges, absorbant l’eau issue des précipitations ou de l’irrigation, puis la libérant lentement au contact des racines. Ces matériaux sont souvent constitués de polymères synthétiques tels que le polyacrylate de potassium ou l’acrylamide, ou encore de polymères naturels modifiés comme la cellulose ou l’amidon (Bhatnagar et al., 2016 ; Tariq et al., 2023).

Dans notre étude, nous avons utilisé un hydrogel commercial baptisé Water Hope. Ce produit est principalement composé de polyacrylate de potassium, un polymère biodégradable réputé pour sa grande capacité de rétention d’eau, sa stabilité dans le sol et son innocuité pour l’environnement. Son fonctionnement repose sur sa capacité à absorber jusqu’à 300 fois son poids en eau, formant ainsi un gel hydraté dans la zone racinaire. L’eau stockée est ensuite restituée progressivement en fonction des besoins physiologiques de la plante, ce qui permet de tamponner les effets des périodes de sécheresse.

Pour évaluer son efficacité, deux doses ont été appliquées dans des pots contenant un sol représentatif des zones agricoles marocaines : 1,5 gramme et 3 grammes par plante. Les résultats ont révélé une amélioration significative de la croissance des plantes traitées. On a observé un accroissement du nombre de feuilles, une augmentation du nombre de talles (tiges secondaires), ainsi qu’une biomasse aérienne plus importante. Surtout, le rendement en grains a connu une nette progression, atteignant jusqu’à 55 % d’augmentation par rapport aux témoins non traités (Habbadi et al., 2024). Ces performances sont liées à une régulation plus efficace de l’humidité dans la zone racinaire, permettant à la plante de maintenir son activité physiologique même en période de stress hydrique sévère.

Une synergie prometteuse : PGPR et hydrogels combinés

L’un des constats les plus marquants de notre étude concerne l’effet observé lorsque les PGPR et l’hydrogel sont utilisés conjointement. Nous avons combiné les deux souches bactériennes avec les deux doses de Water Hope afin d’évaluer leur interaction. Cette stratégie combinée a donné des résultats supérieurs à ceux obtenus par chaque traitement pris séparément, confirmant ainsi l’existence d’un effet synergique.

En effet, les plants ayant reçu les deux traitements simultanément ont présenté une croissance végétative exceptionnelle, marquée par une augmentation notable du nombre de feuilles, de talles et d’épis. La production de chlorophylle, essentielle à la photosynthèse, a également été plus élevée, traduisant une activité métabolique renforcée. Les rendements ont connu un bond significatif, avec un poids de grains accru, une masse végétale plus importante et un développement racinaire plus robuste. À titre d’exemple, la combinaison de la souche S. nematodiphila avec 3 g d’hydrogel a permis d’obtenir jusqu’à 60% d’augmentation du poids des grains.

Par ailleurs, la température des feuilles, souvent utilisée comme indicateur indirect du stress hydrique, a été significativement plus stable chez les plantes traitées. Cette régulation thermique témoigne d’une meilleure gestion de la transpiration et d’une activité photosynthétique plus soutenue, traduisant une performance physiologique améliorée dans des conditions de stress environnemental.

Effets durables sur la fertilité et la santé du sol

Les bénéfices de l’association PGPR–hydrogel ne se limitent pas à la croissance des plantes : ils s’étendent également à la santé et à la fertilité du sol. L’un des résultats les plus significatifs concerne l’amélioration des propriétés physico-chimiques du sol, confirmée par des analyses chimiques. Le traitement combiné a permis d’augmenter la teneur en matière organique, en azote total, ainsi que la disponibilité en phosphore et en potassium, des éléments essentiels à la nutrition du blé.

Cette amélioration s’explique en partie par l’apport accru de biomasse végétale, qui enrichit le sol en résidus organiques, mais aussi par l’activité microbienne stimulée par la présence des PGPR. Ces bactéries bénéfiques dynamisent le cycle des nutriments, améliorent la structure du sol, et favorisent la formation d’agrégats stables. L’hydrogel, en assurant une humidité constante dans la zone racinaire, crée un environnement propice au développement microbien et au maintien de l’équilibre biologique du sol.

L’effet combiné des deux traitements contribuent à rendre le sol plus vivant, plus fertile, et mieux capable de retenir l’eau et les nutriments, ce qui représente un levier important pour la durabilité des systèmes agricoles dans les zones arides et semi-arides.

Des solutions biologiques pour un futur agricole durable au Maroc

À travers ce travail, nous avons démontré que l’intégration des PGPR et de l’hydrogel constitue une approche novatrice, écologique et parfaitement adaptée aux défis climatiques actuels. Elle répond concrètement aux besoins des agriculteurs confrontés à des saisons de plus en plus sèches et imprévisibles. En facilitant la germination, en renforçant la croissance des plantes et en améliorant la fertilité des sols, cette méthode permet d’optimiser les rendements tout en réduisant l’usage d’eau et d’intrants chimiques.

De plus, les matériaux employés — des bactéries issues de notre collection nationale et un hydrogel disponible dans le commerce — rendent cette technique facilement transposable à grande échelle, y compris dans les zones arides et semi-arides du Maroc.

Limites et contraintes potentielles

Bien que la combinaison des PGPR et de l’hydrogel offre des perspectives intéressantes pour renforcer la résilience des cultures face à la sécheresse, certaines limites doivent être prises en compte. L’hydrogel, malgré son efficacité, représente un coût initial important, notamment pour les petits exploitants, et son action peut être influencée par des facteurs tels que la texture du sol, la salinité ou encore la fréquence des irrigations. De leur côté, les PGPR sont sensibles aux conditions édaphiques et climatiques : leur efficacité peut varier selon le type de sol, la température ambiante ou la présence de microorganismes compétiteurs. De plus, toutes les souches ne sont pas adaptées à toutes les cultures, ce qui nécessite une sélection ciblée et un ajustement au contexte agroécologique local. Ainsi, pour garantir une application efficace et durable, ces approches doivent être accompagnées d’une évaluation préalable des conditions du milieu et d’un suivi technique appropriée.

Des solutions adaptées à l’agriculture marocaine

L’une des grandes forces de cette approche réside dans sa parfaite compatibilité avec les réalités agricoles du Maroc. Les souches bactériennes utilisées dans cette étude ont été isolées à partir de la flore microbienne locale, notamment de la rhizosphère du palmier dattier, une espèce emblématique des zones arides marocaines. Cette origine endogène constitue un avantage considérable, car elle garantit une meilleure adaptabilité des PGPR aux conditions pédoclimatiques locales, tout en valorisant les ressources biologiques nationales. Par ailleurs, l’agent hydrorétenteur utilisé, Water Hope, est un produit déjà disponible sur le marché marocain, ce qui en facilite l’accès et l’intégration dans les pratiques agricoles existantes, sans nécessiter d’importation ou d’infrastructure spécialisée. En combinant des ressources microbiennes indigènes et une technologie simple, cette méthode s’inscrit dans une logique de développement durable, respectueuse de l’environnement, et facilement transposable dans les zones arides et semi-arides du pays. Elle constitue ainsi une réponse concrète et accessible aux enjeux climatiques et hydriques auxquels fait face l’agriculture marocaine.

Perspectives et avenir de cette recherche

Les résultats obtenus dans ce travail marquent une étape importante vers la mise en place de systèmes de production plus résilients face aux aléas climatiques. Toutefois, pour consolider et généraliser cette approche, plusieurs pistes de recherche doivent être explorées. Il est notamment nécessaire de tester l’efficacité de la combinaison PGPR–hydrogel sur une plus grande diversité de variétés de blé, y compris celles utilisées dans les systèmes de culture traditionnels et modernes, ainsi que sur d’autres cultures stratégiques sensibles à la sécheresse comme l’orge, le maïs, les légumineuses ou encore les cultures maraîchères. À moyen terme, il conviendra également d’évaluer les effets à long terme sur la structure du sol, la dynamique de la matière organique, la biodiversité microbienne et la durabilité des rendements au fil des cycles culturaux. Par ailleurs, une analyse économique approfondie est indispensable pour estimer le rapport coût-bénéfice de cette approche dans un contexte réel d’exploitation, condition essentielle pour son adoption par les agriculteurs. Enfin, la réussite de cette transition vers une agriculture plus résiliente et écologique dépendra largement des efforts de vulgarisation, de formation et d’accompagnement technique. La sensibilisation des acteurs du monde agricole, appuyée par des démonstrations sur le terrain et des programmes de formation ciblés, sera donc déterminante pour assurer le transfert effectif de ces innovations vers la pratique.

Références :

Bhatnagar, A., Kumar, R., Singh, V. P., & Pandey, D. S. (2016). Hydrogels:A Boon for Increasing Agricultural Productivity in Water-Stressed Environment. Current Science, 111(11), 1773. https://doi.org/10.18520/cs/v111/i11/1773-1779

Grover, M., Bodhankar, S., Sharma, A., Sharma, P., Singh, J., & Nain, L. (2021). PGPR Mediated Alterations in Root Traits: Way Toward Sustainable Crop Production. Frontiers in Sustainable Food Systems, 4. https://doi.org/10.3389/fsufs.2020.618230

Habbadi, K., Guartoumi, M.EI., el Iraqui, S.EH., Maafa, I., Aoujil, F., Benbouazza, A., Achbani, ElH., Ferrahi, M. (2025). Assessing the impact of PGPR and water retention agents on bread wheat growth: an experimental study. Asian Journal of Agriculture and Biology. https://doi.org/10.35495/ajab.2024.072

Tariq, Z., Iqbal, D. N., Rizwan, M., Ahmad, M., Faheem, M., & Ahmed, M. (2023). Significance of biopolymer-based hydrogels and their applications in agriculture: a review in perspective of synthesis and their degree of swelling for water holding. RSC Advances, 13(35), 24731–24754. https://doi.org/10.1039/d3ra03472k

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