
Dr Rajae Kettani, Agrophysiologie des annuelles (URAPV – INRA CRRA Meknes)
Le tournesol est la principale culture oléagineuse annuelle au Maroc. Il est cultivé pour ses graines riches en huile utilisées non seulement pour l’homme mais aussi pour l’alimentation animale à travers ses tourteaux assez riches en protéines. Il est surtout apprécié pour la qualité de son huile équilibrée avec 12% seulement d’acides gras insaturés. Selon le Ministère de l’Agriculture, la superficie moyenne consacrée aux oléagineux en 2017-2018 est de 35 000 ha dont 21 700 ha consacrés au tournesol avec une production de 38 000 tonnes.
Conscient de l’importance de la filière oléagineuse, et principalement de la culture du tournesol; le Ministère a lancé une importante initiative pour son développement sous forme d’un contrat-programme avec la fédération interprofessionnelle des oléagineux (FOLEA) pour la période 2013-2020. L’objectif du programme pour 2020 est d’atteindre la superficie de 127.000 hectares de cultures oléagineuses (dont 85.000 ha de tournesol) et de produire 93.000 tonnes d’huile. Dans ce contexte, le Maroc subit de plein fouet les changements climatiques; notamment après la grave sécheresse de 2016 qui a décimé les récoltes et déprimé l’économie de 1.5%. Par conséquent, le pays a adopté une série de politiques vertes afin de préserver ses ressources naturelles et renforcer la résilience de l’agriculture face à la réduction du volume des précipitations.
Dans ce sens, l’INRA contribue à travers la conception et la mise en œuvre de projets de recherche dont l’objectif global est la mise au point de technologies à même d’atténuer les conséquences des changements climatiques. Sur le plan recherche-développement de ce contrat programme avec la profession, l’INRA a œuvré pour l’évaluation de différentes variétés de tournesol commercialisées et utilisées par les agriculteurs pour leur tolérance au stress hydrique en phase de floraison.
Cadre de l’étude et importance de la stratégie de tolérance variétale
Ce thème a été retenu car la sécheresse est la contrainte à laquelle se heurtent chaque année la plupart des agriculteurs au Maroc. Parmi les différents moyens pour y faire face, la diversité génétique demeure un capital incontournable. Chez le tournesol, la période de floraison-maturité est déterminante pour le rendement en graines et constitue ainsi la phase la plus sensible à la sécheresse. La tolérance des variétés de tournesol durant cette phase reproductrice est une voie efficace pour concrétiser le potentiel de la culture et valoriser au mieux les ressources hydriques disponibles, contrairement à l’esquive ou l’évitement. L’objectif de cette étude est la proposition de variétés tolérantes à la sécheresse en vue d’améliorer le rendement à travers une meilleure valorisation de l’eau pluviale.
Matériel végétal et conduite technique
La plateforme a été installée le 29/03/2018 à la station expérimentale de Douyet pour évaluer le comportement physiologique et le rendement en graines de six variétés de tournesol face à la contrainte hydrique. Il s’agit de V1 : Bosphora, V2 : Ichraq, V3 : Meridia, V4 : IN5543IMI, V5 : Salima, V6 : Laila. L’installation a été réalisée en lignes espacées de 50 cm, à une profondeur de 3 cm et une densité de peuplement calculée sur la base de 80 000 graines/ha. La fertilisation de fond apportée est de 60 unités d’azote/ha calculée selon un rendement moyen visé de 25 qx/ha. L’amendement phospho-potassique apporté est de 30 unités de P2O5 et 40 unités de K2O/ha. Un binage au stade deux feuilles a été réalisé. L’essai a été mené sous les conditions pluviales sans aucun apport en eau supplémentaire (Figure 1). Les résultats présentés ici sont le rendement en graines/ha et deux indicateurs physiologiques de tolérance à la sécheresse, à savoir la conductance stomatique (CS) et la teneur en eau relative (%TRE).
Résultats obtenus
La figure 1 montre une répartition très inégale de la pluie durant la campagne agricole entre septembre 2017 et septembre 2018 à la station de Douyet. Le semis a été retardé à la fin du mois de Mars (29/03) suite aux grandes quantités d’eau tombées en Mars (151 mm) et en raison de la nature argileuse du sol.
Selon la variété, la date de floraison s’est située autour de 60 ± 10 jours après semis, vers la dernière semaine de Mai. La durée moyenne de la phase floraison (F1-F4) était de 14 ± 6 jours et la durée de la phase de maturation entre 3 et 4 semaines (10-15% humidité des graines). Les six variétés de tournesol ont réagi différemment à travers les indicateurs de tolérance mesurés. Des seuils de fermeture stomatique significativement différents selon les variétés ont été mis en évidence (Figure 2).

Figure 3 : Valeur moyenne de le TRE (%) en période de floraison
La conductance stomatique la plus élevée est obtenue avec la variété Meridia, avec 5,29 cm²s-1 et la plus faible avec la variété Ichraq avec 2,51 cm²s-1. Pour la TRE (%), la variété Laila a montré la valeur moyenne la plus élevée, soit 69%, et salima la plus basse avec 52% (Figure 3).
Dans le cas de Salima et Ichraq (Figure 2), la fermeture des stomates est une réponse précoce au déficit hydrique qui a pour but la protection de la plante contre la déshydratation mais qui a provoqué en même temps une diminution de l’assimilation du carbone qui perturbe la photosynthèse. La TRE(%) est un bon indicateur qui est très utilisé pour mettre en évidence l’état de la balance hydrique d’une plante. En effet, Cechin et al., (2006) ont montré que les génotypes qui arrivent à maintenir une TRE(%) élevée sous stress hydrique sont des génotypes tolérants à la sécheresse, et que cette capacité de maintenir un potentiel hydrique élevé est un mécanisme qui permet à la plante d’esquiver la déshydratation. De plus, Poormohammad Kiani (2007) a montré à travers l’expression des gènes étudiés chez le tournesol que le gène de l’aquaporine est corrélé au caractère hydrique TRE(%).
Concernant le rendement en graines, les variétés Laila et IN5543IMI se sont révélées très intéressantes et prometteuses puisqu’elles ont donné les meilleurs rendements en graines, dépassant 2 t/ha, soient 2.4 et 2,1 t/ha, respectivement (Figure 4).
S’agissant des paramètres physiologiques mesurés, la variété Salima a accusé conjointement une baisse de la TRE(%) et de la CS, alors que la variété Laila a montré une corrélation positive hautement significative égale à 0,89 entre le rendement en graines et la CS. Cette supériorité confirmée de la variété Laila pour la deuxième année consécutive dans la région de Meknès à Ain Jemaa (Kettani et al., 2017) et à Douyet résulte du maintien de la conductance stomatique couplée à une teneur hydrique foliaire élevée, comparativement aux autres variétés. Nos résultats vont dans le même sens que ceux trouvés par Assman et al. (2000) et Cechini et al. (2006) qui ont montré que le signal de la fermeture stomatique en conditions de sécheresse; attribué à la production de l’acide absicique (ABA); est en relation avec l’état hydrique de la plante entière comme facteur important à considérer car il intervient sur la sensibilité des stomates à la concentration d’ABA et leur fermeture.
Références :
Assmann M. Snyder J. A et Lee Y. J. (2000). ABA-deficient (aba1) and ABA insensitive (abi1-1, abi2-1) mutants of arabidopsis have a wild-type stomatal response to humidity. Plant Cell Environ. 23: 387-395.
Cechini I. Rossi S.C. Oliveira V.C et Fumis T.F., 2006. Photosynthetic responses and proline content of mature and young leaves of sunflower plants under water deficit. PHOTOSYNTHETICA 44 (1): 143-146.
Kettani R., Nabloussi A., Hssaini L., and Khalfi D., 2017. Rapport technique. Plateforme de démonstration du tournesol à Ain Jemaa. Convention INRA-FOLEA.
Poormohammad Kiani, Seifollah. 2007. Analyse génétique des réponses physiologiques du tournesol (Helianthus annuus L.) soumis à la sécheresse. PhD, Institut National Polytechnique de Toulouse, Official URL: http://ethesis.inp-toulouse.fr/archive/00000490/