
Ir Amal Labaioui, Chercheure (URGRNSEQ – CRRA Meknes)
Les scientifiques s’accordent de nos jours pour confirmer que le changement des climats est maintenant inévitable. Le réchauffement global de la fin du 19ème siècle à nos jours est déjà de l’ordre de 0,7°C, avec un rythme actuel de +0,2°C par décennie. Pour le 21ème siècle, les modèles climatiques prévoient des augmentations de la température globale entre 2 et 5°C (Kopf et al., 2008)
Les changements climatiques représentent aujourd’hui une sérieuse menace pour l’agriculture, la sécurité alimentaire et les moyens de subsistance des petits agriculteurs. En effet, les incidences de ces changements remettront en question des systèmes de production déjà fragilisés et qui devront produire plus pour nourrir une population plus nombreuse. Les systèmes agricoles en place, sont adaptés au contexte agroécosystémique régional actuel mais, sous l’effet des changements climatiques, les écosystèmes agricoles subiront des modifications, encore mal connues, qui affecteront les moyens d’existence des populations, en particulier des agriculteurs pauvres.
Quand on s’interroge sur les conséquences d’un tel changement, la température globale ne suffirait plus aux fin d’une analyse pertinente, mais il faudrait aussi, et surtout, tenir compte des changements des climats locaux. Il est donc nécessaire de comprendre en termes humains et non seulement climatiques, les changements attendus là où nous vivons pour développer des stratégies d’adaptation efficaces permettant de sécuriser les moyens de subsistance et ainsi le développement des communautés. Les stratégies et les technologies pour l’adaptation au changement climatique dans des emplacements particuliers devraient idéalement être fondées sur la connaissance des conditions climatiques futures de ces endroits. Les estimations déclarent que 70% des climats futurs existent déjà quelque part dans le monde. Et c’est ainsi que l’approche des analogues climatiques entre en jeu et a été adopté pour se préparer aux modifications du milieu suite au changement climatique attendu.
Cette approche développée et mise au point par le programme du CGIAR sur le Changement Climatique, l’Agriculture et la Sécurité Alimentaire (CCAFS), permet aux agriculteurs de percevoir la situation qui sera la leur dans le futur. Elle consiste à déterminer un endroit doté aujourd’hui d’un climat comparable à celui que l’on prédit à la fin du siècle pour un site donné. La comparaison des systèmes de production actuels à leurs futurs analogues peut faciliter l’échange de connaissances entre les agriculteurs dans des endroits ayant des climats statistiquement similaires, dans le temps ou dans l’espace. Elle permet également de tester et de valider des stratégies et des options d’adaptation pour adopter les plus appropriées. Cette approche crée aussi des opportunités de recherche pour étudier si les stratégies réussies sur un site sont transférables à un autre.
Les analogues peuvent aider les planificateurs à explorer d’éventuels scénarios futurs et répondre à certains questionnements tels que :
- Si les émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) continuent de suivre le scénario élevé (Representative Concentration Pathway – RPS 8.5), quelles seront les conditions climatiques dans un lieu d’étude en 2030, 2050 ou 2090 ?
- Quels types d’agriculture et quelles techniques agricoles les agriculteurs entreprennent-ils dans des localités analogues qui sont similaires ou différentes de la localité de référence ?
- Quelles espèces végétales prospèrent dans les localités analogues ; Quelles espèces prospèrent dans le site de référence ; Comment cela pourrait-il influencer le choix des espèces dans l’avenir ?
L’approche analogue climatique a été testée dans plusieurs pays en Afrique et en Asie et les résultats ont été prometteurs en termes de renforcement de la capacité d’adaptation des populations.
Etude de cas : Identification de l’analogue climatique de la commune de Ras Tabouda-Maroc-
Un travail expérimental a été réalisé en vue d’identifier l’analogue climatique d’un site de référence considéré comme étant la commune rurale de Ras Tabouda (Province de Sefrou). L’objectif étant de visualiser les conditions de production futures facilitant la définition de stratégies d’adaptation au changement climatique.
Caractérisation rapide de la localité pilote « Ras Tabouda »
Ras Tabouda est une commune rurale de la province de Sefrou, dans la région de Fès-Meknès. Elle couvre une vingtaine de villages comptant une population de 6388 habitant répartie en 1391 ménages (HCP, RGPH 2014) et s’étalant sur une superficie de 10240 Ha. La population de Ras Tabouda comptait 6 500 habitants dix ans plus tôt (HCP, RGPH 2004) marquant ainsi une nette diminution. Ras Tabouda est le chef-lieu de la tribu Aït Sadden (population autochtone) répartie administrativement sur deux communes rurales ; CR Ras tabouda et CR Bir Tamtam en l’occurrence.
La commune est caractérisée par un climat continental (hiver froid et été chaud), des précipitations moyennes annuelles de l’ordre de 460 mm et une température moyenne annuelle de 16°C avec un maxima moyen de 25°C et un minima de 9,5°C. Les vents dominants sont ceux de l’Est (chauds et secs). Elle est exposée une fois sur deux ans à des chutes de grêles au printemps et en automne. Les sols dominants sont à texture argileuse. Elle leur confère une bonne fertilité et une bonne réserve utile. Ils sont constitués principalement par des sols Hamri et Tirs.
Le statut Melk est prédominant pour les terres de la commune qui ne compte ni forêt ni parcours collectif. La commune Ras Tabouda est une zone de production agricole où les céréales (blé tendre notamment) occupent la première place dans les assolements. L’arboriculture (principalement l’olivier) vient en 2ème rang, puis les légumineuses alimentaires. Les autres productions demeurent insignifiantes en termes d’importance en surfaces. L’élevage, beaucoup plus important dans le passé, est désormais très limité de nos jours en raison de l’expansion des terres cultivées réduisant à néant les aires de pâturage. Les agriculteurs ne maintiennent plus que quelques têtes de bovin laitier et d’ovins dans un objectif de consommation propre à leurs propres ménages.
Les femmes de Ras Tabouda, généralement scolarisée pour les plus jeunes, ne sont admises que trivialement sur le marché du travail, et c’est le cas des seules femmes veuves et pauvres. Elles peuvent uniquement contribuer aux travaux agricoles à proximité du foyer. Les jeunes hommes, généralement scolarisés, constituent aussi une main d’œuvre importante pour les exploitations familiales notamment durant les saisons des récoltes des céréales (été) et des olives (automne). Les opportunités de travail devenant très rares en hiver et pendant le printemps, plusieurs jeunes hommes gonflent les rangs de la migration saisonnière pour travailler en ville ou dans d’autres terroirs plus prospères.
Approche méthodologique
Afin d’identifier l’analogue climatique du site de référence considéré, l’indice de dissimilarité ‘CCAFS dissimilarity’ a été utilisé à travers le programme R pour calculer la distance euclidienne pondérée entre les vecteurs des variables entre le site de référence ‘Ras Tabouda’ et d’autres sites pour identifier systématiquement les analogues du climat à travers le Maroc. Les résultats montrent que le changement climatique va provoquer à Ras Tabouda à l’horizon de 2050, une diminution des précipitations annuelles moyennes de l’ordre de 20 mm et une augmentation de presque 3°C de la température moyenne annuelle (Figure 1).

Figure 1 : Précipitations et températures moyennes mensuelles actuelles et futures (2030) à Ras Tabouda.
Les zones, où se trouve ce climat actuellement, sont les analogues climatiques à notre site de référence Ras Tabouda (Figure 2).Ces zones ont un indice de dissimilarité variant entre 23 et 50 et sont représentées sur la carte par les couleurs rouge et orange. En effet, plus l’indice de dissimilarité est petit, plus ces zones sont similaires au site de référence. En superposant cette carte avec la carte des communes, les communes El Gouzate, Bni Ftah, Thar Essouk… sont identifiées comme les sites les plus analogues (ou similaires) à Ras Tabouda.

Figure 2 : Carte des analogues climatiques de la commune Ras Tabouda.
En plus des conditions climatiques, d’autres conditions socio- économiques et environnementales sont à prendre en compte pour le choix définitif du site analogue. Il s’en suit l’engagement d’un processus participatif d’élaboration de stratégies d’adaptation à travers l’organisation de visites d’échange entre les agriculteurs de Ras Tabouda (site de référence) et du site analogue pour bien visualiser les conditions climatiques futures de leur commune et le changement possible des systèmes de production.
———————————————-
* CGIAR : Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale (www.cgiar.org).