Le changement climatique prévu pour les régions méditerranéennes pose des défis significatifs à l’agriculture et plusieurs modèles climatiques prévoient une augmentation de la température annuelle de 1,5°C à l’horizon 2050 (MedECC, 2020). Au Maroc, l’oléiculture revêt une grande importance et constitue l’une des filières prioritaires de la nouvelle stratégie Generation Green 2020-2030. La superficie des oliveraies est estimée à environ 1,2 millions d’hectares, soit 12,3 % de la SAU et 65 % des superficies arboricoles. Selon le scénario RCP4.5 à l’horizon 2050, tous les agro-écosystèmes seront confrontés au changement climatique (Porter et al., 2014) et les régions agricoles de Marrakech et du sud-ouest (Agadir, Taroudant) sont de plus en plus vulnérables et ne seraient plus favorables à l’oléiculture. Ainsi, dans des conditions hivernales de plus en plus douces, le déficit de floraison chez l’olivier constituerait un des enjeux de l’oléiculture de demain. A titre d’exemple, une réduction de la production dans les vergers de la région de Marrakech a été observée en 2016; elle serait probablement liée au déficit de la floraison et au manque de froid pendant l’hiver précédent. Compte tenu de l’importance de l’oléiculture au Maroc, il s’avère désormais urgent de mettre en œuvre de manière anticipée des programmes de sélection et d’amélioration génétique conduisant à une oléiculture durable et résiliente. Il s’agit ainsi d’explorer les potentialités génétiques et les mécanismes d’adaptation permettant à l’olivier de faire face au réchauffement climatique affectant la floraison afin de pouvoir sélectionner des variétés adaptées aux hivers doux et à des périodes estivales longues, sèches et chaudes.
Grâce à une collaboration fructueuse dans le cadre du projet ClimOliveMed, nous nous sommes intéressés à évaluer la variabilité de la floraison chez un panel élargi de variétés d’olivier à des fins de classification en fonction des dates de floraison et des besoins en froid nécessaires pour la levée de dormance de chaque variété. A cet effet, la délimitation des périodes d’accumulation du froid s’avère une des étapes clés pour comprendre les interactions entre les variations des dates de floraison et des températures associées.
Les observations phénologiques, en particulier le stade 65 correspondant à la pleine floraison (Sanz-Cortes et al., 2002), ont été conduites depuis 2014 sur 331 variétés, issues de 14 pays méditerranéens, qui sont en collection au domaine expérimental de Tassaoute (INRA, Marrakech ; El Bakkali et al., 2019). En plus de ces données, une séquence temporelle de 27 ans (1986-2013) des dates de floraison de la variété ‘Picholine marocaine’ a été utilisée pour la délimitation de la période d’accumulation du froid chez l’olivier (El Yaacoubi et al., 2014). Cette base de données par le biais de la statistique PLS (régression par les moindres carrés partiels) a permis d’identifier les phases de froid et de chaleur et d’estimer par conséquent les besoins thermiques de chaque variété de la collection mondiale.
1. Variabilité des dates de floraison et délimitation de la période d’accumulation du froid
Les observations phénologiques ont montré une large variabilité concernant les dates de floraison entre les variétés de la collection mondiale. En effet, les dates de pleine floraison ont varié au fil des années entre 91 (1er avril) en 2019 et 150 jours calendaires (30 mai) en 2016. Une importante variabilité des dates de floraison d’une année à l’autre a été observée avec une plage de variation de 59 jours. La classification des variétés selon les dates de floraison a mis en évidence quatre groupes principaux: à floraison précoce, moyenne, tardive et très tardive, avec une moyenne de dates de floraison de 119 (29 avril), 123 (3 mai), 125 (5 mai), 128 jours calendaires (8 mai), respectivement.
Moyennant l’approche statistique PLS et la séquence temporelle des dates de floraison, la phase d’accumulation du froid de la variété ‘Picholine Marocaine’ à Marrakech s’est révélée entre fin décembre et fin février (Figure 1). Ce résultat mis l’accent sur l’importance des températures basses pendant la période définies pour la levée de dormance de la variété ‘Picholine marocaine’. A défaut de froid pendant cette période, suite aux hivers doux, et tenant compte de la variabilité en termes des besoins en froid des différentes variétés d’olivier, la floraison et par conséquent la production pourraient être fortement impactées.
2. Classification des variétés selon les besoins en froid
En utilisant des modèles Dynamique et GDH (Anderson et al., 1986; Fishman et al., 1987), nous avons pu estimer les besoins thermiques de chacune des variétés étudiées durant la période d’accumulation du froid définie. Les résultats ont mis en évidence une grande variabilité entre les varietés à faibles besoins en froid (moyenne de 12,39 ± 0,78 CP ; Chill portion, portion de froid) et les variétés à forts besoins en froid (38,85 ± 2,47 CP). Ainsi, les variétés étudiées ont été classées en quatre groupes distincts en fonction de leurs exigences en froid : variétés à exigences faibles en froid (à savoir Arbequina), moyennes (Picholine marocaine), élevées (Rossillo) et très élevées (Leccino ; Figure 2 ; Tableau 1).
Les résultats ont montré également que les variétés à floraison précoce présentaient de faibles besoins en froid avec une corrélation significative d’environ 33%, tandis que les variétés à floraison tardive présentaient des besoins en froid et en chaleur élevés. Nous avons observé également une corrélation significative entre les besoins en chaleur et les dates de pleine floraison (36%). Ces résultats indiquent que la date de floraison est régie par un effet d’interaction entre le froid et la chaleur.
3. La Picholine marocaine est-elle adaptée aux conditions futures de réchauffement climatique ?
Dans le contexte du réchauffement climatique, les hivers seront de plus en plus doux mettant en question les exigences de la variété ‘Picholine marocaine’ et son adaptation aux futurs scenarios climatiques. Notre étude a démontré que la variété ‘Picholine marocaine’ se trouve moyennement exigeante en froid au même titre que la variété ‘Picholine de Languedoc’, mais avec un besoin plus élevé que la variété Arbequina (variété moins exigeante en froid ; Tableau 1). Tenant compte que ces variétés sont considérées comme étant les plus cultivées au Maroc avec une dominance de la variété ‘Picholine marocaine’ dans les différents systèmes de production, nous pouvons supposer que ces varietés pourraient être à l’abri des futures variations de températures d’hiver. Toutefois, des projections futures pour tout le territoire national sont nécessaires pour évaluer le risque du déclin du froid hivernal sur la gamme des besoins en froid établie, allant de 12 à 42 CP, pour s’assurer que la variété prédominante sera toujours dans la marge de satisfaction de ses besoins en froid malgré le réchauffement future. En cas d’un déclin de froid hivernal dans les régions oléicoles marocaines, il est important d’envisager le remplacement progressif de la ‘Picholine marocaine’ par d’autres variétés à faibles besoins en froid. Cela pourrait être fait par la mise en place de programmes de sélection et de promotion de variétés moins exigeantes en froid pour une oléiculture de demain durable et plus résiliente au réchauffement climatique.
Perspectives
Les dates de floraison des variétés étudiées de la collection mondiale de Marrakech ont montré un effet important et significatif de l’année (variation des températures d’une année à l’autre) et de la variété (effet génétique) sur la date de floraison. Les 331 variétés méditerranéennes étudiées sont classées en quatre groupes de floraison ; précoce, moyenne, tardive et très tardive avec des besoins en froid très variables. Les résultats obtenus devraient être complétés par d’autres investigations en croisant des approches à la fois de statistiques/modélisation, expérimentales et génomiques afin de comprendre les processus biologiques de la floraison (levée de la dormance, besoins en froid et en chaleur, taux de floraison…). A ce titre, le projet ClimOliveMed constitue une réelle opportunité d’approfondir les connaissances sur les mécanismes d’adaptation de l’olivier et les régions génomiques associées aux principaux traits phénotypiques liés à la floraison en vue de définir une combinaison de marqueurs génomiques associés aux traits adaptatifs utiles pour la sélection de génotypes les plus adaptés au réchauffement climatique.
Références
Abou-Saaid, O., El Yaacoubi, A., Moukhli, A., El Bakkali, et al. (2022). Statistical Approach to Assess Chill and Heat Requirements of Olive Tree Based on Flowering Date and Temperatures Data: Towards Selection of Adapted Cultivars to Global Warming. Agronomy, 12(12), 2975.
Anderson, J. L., Richardson, E. A., et Kesner, C. D. (1986). Validation of chill unit and flower bud phenology models for ‘montmorency’ sour cherry. Acta Horticulturae (ISHS), 184, 71-78.
El Bakkali A., Essalouh L., Tollon C., Rivallan R., et al. (2019). Characterization of Worldwide Olive Germplasm Banks of Marrakech (Morocco) and Córdoba (Spain): towards management and use of olive germplasm in breeding programs, Plos One, 14(10): e0223716.
El Yaacoubi, A., Malagi, G., Oukabli, A., Hafidi, M., et al. (2014). Global warming impact on floral phenology of fruit trees species in Mediterranean region. Scientia Horticulturae, 180, 243-253.
Fishman, S., Erez, A., & Couvillon, G. A. (1987). The temperature dependence of dormancy breaking in plants: Mathematical analysis of a two-step model involving a cooperative transition. Journal of Theoretical Biology, 124(4), 473-483.
MedECC (2020). Climate and Environmental Change in the Mediterranean Basin – Current Situation and Risks for the Future. First Mediterranean Assessment Report [Cramer, W., Guiot, J., Marini, K. (eds.)] Union for the Mediterranean, Plan Bleu, UNEP/MAP, Marseille, France, 632pp.
Porter, J., Xie, L., Challinor, A., Cochrane, K., et al. (2014). Food security and food production systems climate change 2014: impacts, adaptation, and vulnerability. Part a: global and sectoral aspects. Contribution of Working Group II to the Fifth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change. eds.)]. Cambridge University Press, Cambridge, United Kingdom and New York, NY, USA, 485-533.
Sanz-Cortes, F., Martinez-Calvo, J., Badenes, M. L., et al. (2002). Phenological growth stages of olive trees (Olea europaea). Annals of Applied Biology, 140(2), 151-157.
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(1) : Université Cadi Ayyad, Marrakech
(2) : INRA CRRA-Marrakech
(3) : INRA CRRA-Meknès