
Ouahiba El Alaoui, Ingénieur Agro-Economiste
Objectifs & démarche
L’arboriculture fruitière a enregistré une croissance importante tant en superficie qu’en production. Toutefois, la commercialisation demeure un maillon faible pour cette filière comme en en témoignent les déclarations récurrentes des acteurs. Ces derniers dénoncent non seulement la responsabilité des intermédiaires, mais aussi l’organisation et la gestion des marchés qui sont encore régies par le dahir n° 1-62-008 du 7 février 1962 et l’arrêté d’application du ministre de l’intérieur du 22 mai 1962. En vue de doter les acteurs de connaissances chiffrées leur permettant de mieux ajuster leurs décisions, des recherches ont été initiées sur l’intégration des marchés et la transmission des prix. Celles-ci visent à : a) évaluer le degré d’intégration des marchés ; b) cerner l’évolution de l’intégration de ces marchés et c) analyser la nature, symétrique ou asymétrique, de la transmission des prix. La présence d’asymétrie est un signe révélateur de défaillance. Des marchés bien intégrés transmettent les baisses et les hausses des prix de la même manière.
L’analyse empirique a reposé sur des séries temporelles, des prix mensuels des pommes, collectées par la direction de la stratégie et des statistiques du ministère de l’agriculture sur la période allant de septembre 1993 à juin 2017. Ces dernières correspondent aux prix fréquents observés sur les marchés de gros. Cinq marchés ont été retenus, à savoir ceux de Meknès, Casablanca, Marrakech, Agadir et Oujda. Ce choix s’est basé sur la disponibilité de longues séries de données, la représentativité des régions de production, de consommation et de distribution ainsi que leur dispersion géographique. Le traitement des données s’est effectué moyennant les modèles économétriques de cointégration permettant de saisir comment se répercutent les changements des prix d’un marché sur un autre.
Principaux constats relevés
Les statistiques descriptives des prix des pommes observées ont révélé des écarts entre les marchés excédentaires et ceux déficitaires. Les moyennes les plus basses ont été enregistrées sur les marchés de Casablanca et Meknès. Les marchés d’Agadir et de Marrakech ont affiché les moyennes les plus élevées. Les prix présentent des variations saisonnières assez prononcées imputables à la saisonnalité de l’offre (Figure 1). Globalement, les prix commencent à augmenter au-dessus de la moyenne annuelle au cours de la période de janvier-mai. Ils enregistrent les valeurs les plus faibles durant la période de juillet-novembre. Les variations mensuelles des prix affichent des tendances similaires indiquant ainsi une certaine interdépendance entre les cinq marchés considérés.

Figure 1. Coefficients saisonniers des prix des pommes (1993-2017)
Les résultats des tests de causalité ont permis d’identifier plusieurs relations statistiquement significatives. Il ressort que les prix des marchés de Casablanca et Meknès ont un impact sur les prix des autres marchés sans être influencés par ces derniers. Ces deux marchés, qui s’influencent mutuellement, constituent des marchés de référence pour les autres. Les marchés d’Oujda, Marrakech et Agadir incluent l’information sur les prix des marchés de Meknès et de Casablanca pour fixer leurs propres prix. Il est à noter que les régions de Casablanca-Settat et Fès-Meknès hébergent une part considérable des capacités d’entreposage frigorifique, ce qui confirme l’idée que les marchés excédentaires dictent les prix sur les marchés déficitaires (Bassolet et Lutz, 1998 ; Wyeth, 1992).
D’autres tests ont pu identifier la présence de ruptures structurelles. Les estimations des modèles à correction d’erreur avec rupture ont été réalisées en retenant Meknès (Tableau

Tableau 1. Résultats de l’estimation du modèle à correction d’erreur avec rupture en retenant Meknès comme marché de référence
1) et Casablanca (Tableau 2) comme marchés de référence. Les résultats ont permis de saisir le sens d’évolution du degré d’interdépendance entre les marchés, à travers la comparaison des élasticités de transmission (β) ainsi que les vitesses d’ajustement (θ) avant (β1 et θ1) et après (β2 et θ2) les dates de rupture

Tableau 2. Résultats de l’estimation du modèle à correction d’erreur avec rupture en retenant Casablanca comme marché de référence
repérées. Les élasticités de transmission mesurent la proportion des variations du prix du marché excédentaire transmise aux prix du marché déficitaire. Quant aux vitesses d’ajustement, elles mesurent la rapidité de l’ajustement.
L’appréciation de l’importance des élasticités révèle qu’aucun coefficient n’est proche de 1, aussi bien avant qu’après les dates de rupture, révélant ainsi que les variations des prix ne sont pas complètement transmises entre les marchés. Les tests ont également permis de déceler de fortes élasticités avant les dates de rupture en comparaison avec celles affichées après ces dates. Les mêmes tendances ont été observées pour les vitesses d’ajustement. Les marchés semblent ainsi plus intégrés pendant les années quatre-vingt-dix et que cette intégration tend à s’estomper au fil du temps. Ces résultats ne soutiennent pas l’hypothèse stipulant que les marchés devraient être plus intégrés actuellement qu’auparavant en raison du développement des infrastructures routières, des télécommunications ainsi que l’instauration d’un système d’information sur les prix.
En ce qui concerne la nature de la transmission, trois types de relations ont pu être identifiés (Figure 2). Le premier type compte trois relations symétriques entre le marché de Meknès et ceux de Marrakech, Oujda et Casablanca. Quant au second type, il correspond à deux relations asymétriques attendues et corrobore l’affirmation commune selon laquelle les hausses sur le marché de Casablanca se transmettent plus rapidement que les baisses aux marchés d’Oujda et Meknès. Toutefois, cette asymétrie ne présente pas un caractère très prononcé. Ce type d’asymétrie s’explique par le pouvoir exercé par les intermédiaires commerciaux qui réagissent rapidement pour répercuter les hausses en comparaison avec les baisses afin d’augmenter leurs marges bénéficiaires (Abdulai, 2000).

Figure 2. Schéma récapitulatif des relations de transmission des prix identifiées
Le dernier type concerne trois relations, ne jouant pas dans le sens attendu, pour lesquelles les baisses se transmettent plus rapidement que les hausses. D’une part, ce type de transmission est souvent observé pour les produits périssables (Hassan et Simioni, 2004). Le risque de ne pas commercialiser le produit et donc de le perdre, contraint les commerçants à favoriser les baisses et à limiter les hausses. L’insuffisance de la capacité frigorifique ainsi que la présence de variétés (Anna et Dorset), de moindre qualité et difficilement stockables (MAPM, 2015), pourraient aussi être à l’origine de constat. D’autre part, l’importance des coûts de transaction peut également constituer une source de ce type d’asymétrie (Rapsomanikis et al., 2004). Des coûts de transaction élevés contraignent l’accès des commerçants aux marchés et temporisent l’arbitrage entre ces derniers.
Conclusion et implications
Sur une période de 23 ans, l’intégration des marchés des pommes n’a enregistré aucune amélioration. D’une part, les résultats dégagés ne soutiennent pas l’hypothèse stipulant que les marchés devraient être plus intégrés actuellement qu’auparavant malgré les améliorations observées dans les infrastructures routières, les télécommunications et l’instauration d’un système d’information sur les prix. D’autre part, ils n’ont pas pu confirmer l’assertion selon laquelle les hausses des prix des marchés d’expédition sont plus rapidement transmises que les baisses aux marchés déficitaires. Deux relations seulement sur huit ont confirmé ce type de transmission. Il est à noter, pourtant, que ces résultats restent tributaires des données utilisées et du contexte de commercialisation.
En effet, les données portent sur les prix fréquents et ne permettent pas de capturer les aspects relatifs à la qualité compte tenu de l’absence d’un système de normalisation et de différenciation des produits. Aussi, plus du quart de la production nationale des fruits ne transite pas par les marchés de gros. Ces résultats préliminaires méritent d’être affinés et consolidés par d’autres travaux de recherche. Ces derniers devraient être étendus à d’autres produits arboricoles en intégrant les coûts de transaction et les effets de substitution en vue d’améliorer la compréhension du fonctionnement des marchés et de conduire à des recommandations plus nuancées visant l’intégration des marchés et au-delà, la sécurité alimentaire.
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Références bibliographiques :
- Abdulai, A., 2000. Spatial price transmission and asymmetry in the Ghanaian maize Market. Journal of Development Economics, 63: 327-349.
- Bassolet, B., Lutz, C., 1998. Information service and integration of cereals markets in Burkina-Faso. Journal of African Economies, 8: 31-51.
- Hassan, D., Simioni, M., 2004. Transmission des prix dans la filière des fruits et légumes: une application des tests de cointégration avec seuils. Economie Rurale, 283-284 : 27-46.
- APM, 2015. Note de veille « pomme ».
- Rapsomanikis, G., Hallam, D., Conforti, P., 2004, “Intégration des marchés et transmission des prix pour certains marchés de cultures vivrières et commerciales de pays en développement : Analyse et applications”, FAO, Rapport sur les marchés des produits.
- Wyeth, J., 1992. The Measurement of Market Integration and Application to Food Security Policies. Discussion Paper 314, Brighton: Institute of Development Studies, University of Success.
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* : Le travail présenté ici rentre dans le cadre du projet de fin d’études à l’ENA Meknès réalisé en 2017 par O. El Alaoui sous la direction de Pr A. Ibrahimy (ENA Meknès) et de Dr A. Fadlaoui (INRA Meknès).