AMELIORATION GENETIQUE DES OLEAGINEUX FACE AU CHANGEMENT CLIMATIUQE : STRATEGIE ET AVANCEES DE L’INRA

Abdelghani Nabloussi1, Mohamed Kouighat1,

Souhail Channaoui2 et Mohamed El Fechtali1

1 : INRA CRRA Meknès – 2 : INRA CRRA Errachidia

Dr Abdelghani Nabloussi, Amélioration génétique des oléagineux annuels, Coordinateur de l’UR.APCRG - CRRA Meknès
Dr Abdelghani Nabloussi,
Amélioration génétique des oléagineux annuels,
Coordinateur de l’UR.APCRG – CRRA Meknès

De nos jours, le changement climatique constitue la plus grande menace pour l’agriculture et la sécurité alimentaire à l’échelle mondiale, en particulier dans les zones arides et semi-arides. En effet, les événements climatiques extrêmes deviennent de plus en plus fréquents, notamment les sécheresses, les vagues de chaleur, les inondations ainsi que l’émergence de nouveaux ravageurs et maladies, ayant un impact négatif sur la production agricole et, par conséquent, sur la sécurité alimentaire mondiale (FAO, 2021). Parmi ces stress abiotiques, la sécheresse est le plus redoutable, souvent associée à la salinité et aux températures élevées, dont la fréquence et l’intensité devraient augmenter à l’avenir (Corwin, 2020). Cette évolution compromettra davantage la production alimentaire mondiale. En effet, la sécheresse et la chaleur entraînent de nombreux changements moléculaires, biochimiques et physiologiques, provoquant diverses réactions au niveau cellulaire et de la plante entière, ce qui affecte à la fois la productivité et la qualité des cultures (Prasad et al., 2008). Pour faire face aux effets de la sécheresse sur les cultures, diverses stratégies sont mises en œuvre par les scientifiques et les chercheurs, parmi lesquelles la gestion optimisée des cultures et la sélection variétale. Toutefois, l’amélioration génétique et la sélection restent les approches les plus efficaces pour renforcer la tolérance des cultures à ces stress abiotiques, en particulier dans le contexte actuel du changement climatique. Le Maroc fait face à un grave problème de souveraineté alimentaire en ce qui concerne les huiles végétales de table, avec une production nationale de cultures oléagineuses couvrant moins de 2% des besoins du pays. Ce déficit est compensé par l’importation, ce qui engendre des répercussions négatives sur les plans économique et politique. De plus, il a été rapporté que les cultures oléagineuses subiront une réduction significative des rendements au Maroc, estimée à -10% d’ici 2030 et -30% d’ici 2050 (Gommes et al., 2009). Dans ces conditions, il est impératif pour les agriculteurs de cultiver des variétés oléagineuses adaptées et résilientes face aux stress abiotiques. Cet article vise à présenter la stratégie de recherche adoptée par l’INRA pour contribuer au développement de la filière oléagineuse dans ce contexte de changement climatique. En outre, quelques avancées majeures en matière d’amélioration génétique du colza (Brassica napus L.) et du sésame (Sesamum indicum L.) pour mieux faire face à la sécheresse seront exposées et discutées.

Amélioration génétique des oléagineux pour une agriculture résiliente au changement climatique

La variété ‘Alia’ en essai de multiplication de semences au DE. Sidi Allal Tazi (Nabloussi, 2016)
La variété de colza ‘Alia’ en essai de multiplication de semences au DE. Sidi Allal Tazi (Nabloussi, 2016)

La diversification et le développement de cultures oléagineuses adaptées et résilientes, ainsi que l’adoption d’une large gamme de cultivars, sont essentiels pour faire face au changement climatique et renforcer la souveraineté alimentaire. L’amélioration et l’enrichissement du matériel génétique existant constituent les piliers fondamentaux pour bâtir une stratégie pertinente et efficace. Pour élargir la base génétique des cultures oléagineuses, trois approches complémentaires sont adoptées : les introductions, les hybridations et la mutagénèse. Ainsi, plusieurs accessions, notamment de colza et d’autres espèces apparentées du genre Brassica, sont introduites à partir de diverses banques de gènes internationales. De plus, des échanges de germoplasmes de colza et de tournesol sont réalisés avec différents centres ou instituts de recherche internationaux spécialisés dans la présélection et la sélection de ces cultures.

En parallèle, des croisements intra et interspécifiques sont menées pour obtenir de nouvelles recombinaisons génétiques et élargir la variabilité existante. Les croisements intraspécifiques du colza associent des variétés marocaines, des variétés introduites et des hybrides commerciaux, afin de combiner les traits d’intérêt tels que la vigueur, la productivité, la teneur en huile, la précocité à la floraison et à la maturité, ainsi que la tolérance aux herbicides anti-crucifères. Les croisements interspécifiques, quant à eux, visent à transférer au colza des caractères de rusticité et de tolérance à la sécheresse présents chez d’autres espèces du genre Brassica. En complément, la mutagenèse chimique, via l’éthyl méthane sulfonate (EMS) est de plus en plus exploitée dans le cadre du programme de sélection. Cette technique biotechnologique, efficace et rapide, permet d’induire une grande variabilité génétique. Elle a notamment été appliquée au colza et au sésame, générant ainsi plusieurs lignées mutantes présentant des améliorations notables par rapport aux variétés parentales et existantes.

Tous les germoplasmes ainsi développés sont caractérisés et évalués sous stress abiotique, principalement la sécheresse, afin d’identifier et de sélectionner les génotypes les plus tolérants. Ces évaluations sont réalisées dans différentes conditions : en plein champ, en pots sous serre et même in vitro. Comme la sécheresse peut survenir à tout moment du cycle cultural, le stress hydrique est appliqué à différentes phases de croissance, notamment à la germination et au début du développement des plantules, ainsi qu’à la floraison et au remplissage des graines, périodes particulièrement sensibles au déficit hydrique. La caractérisation et l’évaluation des génotypes reposent sur un phénotypage multi-traits intégrant des paramètres morphologiques, physiologiques, biochimiques et agronomiques. L’analyse des mécanismes d’adaptation et de tolérance permet de développer des indices de sélection basés sur des caractères simples, facilement observables et fortement corrélés au rendement en conditions de sécheresse. Parmi ces indices, la précocité de floraison, la ramification, la teneur relative en eau et la conductance/résistance stomatique se révèlent être des critères pertinents pour la sélection précoce au champ. La sélection sur le terrain des individus les plus prometteurs s’effectue sur la base de ces indices de sélection. Les plantes sélectionnées sont ensachées pour assurer l’autopollinisation et suivies durant trois à quatre générations afin de confirmer leur performance et leur tolérance à la sécheresse. Les lignées stabilisées et homogènes sont ensuite évaluées pour le rendement en graine et la teneur en huile dans divers environnements (trois localités sur au moins deux années), avec une variété témoin comme référence. Les lignées démontrant une supériorité par rapport au témoin peuvent alors être proposées à l’inscription au catalogue officiel des espèces et variétés végétales en tant que nouvelles variétés.

Renforcement de la résilience du colza face aux contraintes climatiques

Le colza est l’une des principales sources d’huiles végétales de table et de tourteaux riches en protéines à l’échelle mondiale. Cette culture, bien adaptée aux conditions agroclimatiques marocaines, demeure toutefois sensible au stress hydrique, en particulier aux stades critiques de germination, de floraison et de remplissage des graines.

Des évaluations in vitro ont permis d’identifier la lignée mutante ‘H2M5’ comme hautement tolérante à la sécheresse, affichant les taux de germination les plus élevés sous différents niveaux de stress hydrique (modéré, intermédiaire et sévère) (Channaoui, 2019a). Cette lignée s’est également distinguée par une élongation racinaire supérieure à celle des autres germoplasmes analysés. De plus, les variétés ‘INRA-CZNap10’, ‘INRA-CZNap9’ et ‘Baraka’ ont démontré une meilleure tolérance à la sécheresse, avec des performances supérieures en termes de taux de germination, de longueur des racines et des pousses, ainsi que d’indice de vigueur des jeunes plantules (Bouchyoua et al., 2024).

Parmi les variétés étrangères introduites, certaines se caractérisent par une floraison plus précoce et une production accrue de ramifications et de siliques par plante par rapport aux variétés existantes. Ces observations suggèrent que le nouveau matériel génétique introduit constitue une source précieuse pour l’amélioration variétale du colza, particulièrement dans un contexte de conditions environnementales de plus en plus contraignantes. Par ailleurs, des lignées mutantes obtenues par mutagenèse chimique à l’EMS ont révélé des progrès génétiques notables en comparaison avec le matériel existant. Ces avancés concernent la vigueur initiale, la précocité à la floraison, la ramification et le nombre de siliques par plante. Le tableau 1 illustre les performances de ces lignées par rapport au  matériel sauvage (contrôle). En particulier, les lignées mutantes ‘H2M2’ et ‘H2M5’ présentent un cycle végétatif raccourci, notamment entre la levée et la floraison, ainsi qu’une production significativement plus élevée de siliques par plante  (Channaoui et al., 2019b). Ces résultats ouvrent des perspectives prometteuses de développement de variétés précoces et hautement productives, mieux adaptées aux défis posés par le changement climatique. L’analyse des mécanismes d’adaptation du colza à la sécheresse survenue au stade de floraison a permis d’identifier plusieurs traits déterminants pour la tolérance hydrique. Une forte ramification, combinée à une teneur relative en eau des feuilles et une résistance stomatique élevées, a été mise en évidence comme un indice de sélection pertinent pour améliorer l’adaptabilité du colza aux conditions de stress hydrique (Saghouri El Idrissi, 2023).

Tableau 1. Performances moyennes de lignées mutantes pour des traits agromorphologiques clés (Channaoui et al., 2019b).

Développement de lignées de sésame tolérantes à la sécheresse : une avancée pour l’agriculture en zones arides

Le sésame est une culture oléagineuse ancienne dont les graines sont riches en huile aux propriétés nutritionnelles et médicinales remarquables. Toutefois, sa production nationale est entravée par plusieurs contraintes, notamment ses importants besoins en eau et l’absence de variétés certifiées adaptées aux conditions locales. Dans ce contexte, un programme d’amélioration par mutagénèse a été lancé en 2019 afin d’élargir la diversité génétique et de sélectionner des lignées plus performantes que le cultivar local existant. Parmi les mutants développés, ‘ML2-10’, ‘ML2-5’, ‘ML2-37’ et ‘ML2-72’ ont démontré une capacité exceptionnelle à germer et à se développer sous un stress hydrique sévère (-1,2 MPa), avec une stabilité remarquable dans les générations M2 et M3 (Kouighat et al., 2021). En situation de stress modéré (-0,6 MPa), ces mutants, comparés aux génotypes parentaux (type sauvage), affichent un taux de germination supérieur à 80% dans les deux générations. Face à une sécheresse sévère (-1,2 MPa), la germination des parents sources ‘US06’ et ‘ML13’ est totalement inhibée, tandis que ‘ML2-5’ et ‘ML2-10’ conservent un taux de germination supérieur à 25% en M2 et M3. Ces mêmes lignées se distinguent également par un indice de vigueur des jeunes plantules (SVI) plus élevé, aussi bien sous stress modéré (> 200) que sévère (> 90), confirmant ainsi leur forte tolérance au stress hydrique à la germination.

Ce travail représente une avancée majeure, car il s’agit de la première étude ayant abouti à des mutants de sésame hautement tolérants et stables face à  la sécheresse survenant durant la germination et les premiers stades de croissance. Ces lignées sont capables de germer et de croître sous un stress hydrique sévère correspondant à un potentiel osmotique de -1,2 MPa.

Par ailleurs, trois lignées mutantes M3 (‘ML2-5’, ‘ML2-72’ et ‘ML2-37’) ont montré une meilleure tolérance à la sécheresse durant la floraison par rapport au cultivar sauvage (Kouighat et al. 2022). ‘ML2-72’ et ‘ML2-37’ se distinguent par un indice de flétrissement plus faible, indiquant un meilleur maintien de l’humidité foliaire. De plus, les mutants ‘US2-1’, ‘ML2-10’ et ‘ML2-37 affichent une moindre augmentation de la résistance stomatique et une forte accumulation de proline en réponse au stress hydrique, des mécanismes clés d’adaptation. Ces mutants se révèlent également prometteurs en termes de rendement, conservant une productivité élevée en conditions de stress et de non-stress (Figure 1). La réduction moyenne du rendement observée chez ‘ML2-10’ et ‘ML2-37’ est bien inférieure à celle rapportée dans des études antérieures sur les cultivars et germoplasmes de sésame (Ebrahimian et al., 2019; Gholamhoseini, 2020). Les résultats des deux études (Kouighat et al., 2021 ; 2022) démontrent que les lignées ‘ML2-5’, ‘ML2-72’ et ‘ML2-37’ sont les plus tolérantes à la sécheresse, aussi bien pendant la germination que la floraison. Leur excellente adaptation repose sur des modifications spécifiques de certains traits morphologiques, physiologiques, phénologiques et agronomiques. Ces trois lignées mutantes constituent ainsi un matériel génétique précieux, offrant des perspectives prometteuses pour le développement de cultivars de sésame productifs et tolérants à la sécheresse au Maroc, ainsi que dans d’autres régions semi-arides du monde.

Figure 1. Variation du rendement en graines par plante de 13 génotypes de sésame sous irrigation complète (FI) et d’irrigation restreinte (RI). Les lettres au-dessus des histogrammes indiquent les groupes homogènes selon le test de Duncan, analysés séparément pour chaque régime d’irrigation.

Conclusion

La diversification et le développement de cultures oléagineuses résilientes, ainsi que l’adoption de cultivars tolérants, sont essentiels pour faire face aux effets du changement climatique et renforcer la souveraineté alimentaire de ces denrées stratégiques. Dans cette optique, l’INRA a mis en place une stratégie d’amélioration génétique intégrée, combinant l’introduction de nouvelles accessions de cultures oléagineuses, les hybridations intra et interspécifiques, ainsi que l’induction de mutations par mutagénèse chimique.

Concernant le colza, les recherches sur la tolérance au stress hydrique à différents stades de croissance ont permis d’identifier et de sélectionner des lignées mutantes et des variétés prometteuses, affichant des progrès génétiques significatifs et de bonnes performances agronomiques en conditions de stress. Parmi elles, la lignée ‘INRA-CZNap9’, la plus tolérante à la sécheresse, a été soumise pour inscription au catalogue officiel en 2024/25.

Pour le sésame, la sélection par mutation induite a conduit au développement de mutants tolérants à la sécheresse, aussi bien durant la germination que la floraison. Ces lignées pourront ainsi être intégrées dans les programmes d’amélioration du sésame pour renforcer sa résilience à la sécheresse et son adaptation à l’irrigation déficitaire. À l’avenir, l’introduction de nouvelles cultures du genre Brassica, plus adaptées aux conditions du changement climatique que le colza et le tournesol, constituerait une avancée précieuse pour le développement des cultures oléagineuses. En attendant leur adoption, ces espèces sont déjà exploitées comme sources de tolérance et de résilience pour le colza à travers un programme de croisement interspécifique.

Références bibliographiques

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Saghouri El Idrissi, I., R. Kettani, N. Brhadda, A. Louali, S.Channaoui, F. Gaboune, A. Nabloussi. 2023. Variation in rapeseed genotype’s reaction to drought during flowering and identification of tolerant-genotypes selection index. Journal of Agriculture and Food Research V14. https://doi.org/10.1016/j.jafr.2023.100872.

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