
Dr. El Hassan Achbani, Directeur de Recherche et Coordinateur de l’URPP – CRRA Meknès
Le Maroc fait partie des pays classés à haut risque d’entrée, d’établissement et de la propagation de Xylella fastidiosa, qui a récemment réapparu en tant que phytopathogène d’importance mondiale provoquant le syndrome de déclin rapide de l’olivier (OQDS). L’infection symptomatique par X. fastidiosa conduit à des maladies dévastatrices et à des pertes économiques importantes. Pour éviter telles pertes et dommages, les pays sans épidémies actuelles comme le Maroc doivent d’abord révéler les réponses éventuelles de leurs plantes hôtes à X. fastidiosa. L’évaluation de la teneur en macro et micro-éléments (ionome) des feuilles peut donner des informations de base et utiles sur les réponses probables vis-à-vis de la(des) maladie(s). Ainsi, ils peuvent être un outil puissant pour la gestion et la lutte contre ce pathogène dévastateur. Dans cette étude, nous avons tracé comme objectifs :
i) Comparaison de l’ionome des feuilles de quatre importants cultivars de l’olivier marocain autochtones (Picholine Marocaine, Haouzia, Menara et Meslalla), et huit variétés méditerranéennes étrangères (Arbequina, Arbosana, Leccino, Ogliarola salentina, Cellina di Nardo, Frantoio, Leucocarpa et Picholine de Languedoc), en vue de développer des hypothèses liées à la résistance ou à la sensibilité des oliviers marocains à l’infection par X. fastidiosa.
ii) Dosage de la teneur en composés phénoliques et flavonoïdes. Cette étude a permis de classer les cultivars étudiés, sur la base de l’analyse des ions, du contenu phénolique et des flavonoïdes de leur feuillage, en deux classes. Une première classe avec des variétés d’olivier qui pourraient être intéressantes en matière de tolérance au X. fastidiosa et une deuxième classe variétale qui sont entièrement sensibles à l’infection par X. fastidiosa.
Introduction
Au Maroc, les oliveraies ont un rôle socio-économique très important, représentant la principale source de subsistance pour de nombreux agriculteurs locaux et sa culture ainsi la production d’huile sont une tradition ancestrale [1]. En outre, au cours des dernières années, l’utilisation des terres pour la culture de l’olive au Maroc a augmenté, passant de 946 818 ha en 2014 à 1 073 493 ha pour la compagne agricole de 2019 [2], faisant de cette culture la première espèce agricole cultivée du pays. La Picholine Marocaine est le type variétal prédominant avec plus de 96% des oliveraies sont plantées avec cette variété [3]. Ainsi, les deux variétés, ‘Menara’ et ‘Haouzia’, largement cultivées actuellement ont été sélectionnées à partir de cette variété par sélection clonale [4].
Malgré son importance, la culture de l’olivier est confrontée aux quelques contraintes, notamment liées aux stress biotiques causés par plusieurs agents pathogènes [5]. X. fastidiosa est un phytopathogène qui attaque plusieurs espèces de grande importance économique dont l’olivier [6,7]. Cet agent pathogène a une gamme d’hôtes très large, comprenant des plantes appartenant à 595 espèces végétales, 275 genres et 85 familles [8]. Cependant, il est bien connu comme l’agent causal de la maladie de Pierce (MP) chez la vigne et la chlorose panachée des agrumes (CVC) en Amérique du Sud et du Nord.
En Europe, malgré que X. fastidiosa est réglementé en tant qu’agent pathogène de quarantaine ; seulement des foyers isolés qui ont été signalés jusqu’en 2013, la date à laquelle la bactérie a été détectée pour la première fois dans le sud de l’Italie (la région des Pouilles) [8], l’une des principales régions oléicoles italiennes. La maladie, nommée le syndrome de déclin rapide d’olivier (Olive Quick Decline
Syndrome : OQDS), a un effet hautement destructeur sur les arbres infectés et se caractérise par le roussissement des feuilles, la dessiccation des feuilles, des brindilles et des branches et conduit l’arbre entier à la mort en quelques années [9]. Cet OQDS causé par X. fastidiosa est l’une des maladies les plus dommageables menaçant les oliviers dans le monde entier [9].
Les études sur cette maladie progressent, mais les données quantifiables et les estimations sur sa propagation sont rares [8]. A ce jour, le Maroc est considéré comme un pays exempt de cette bactérie dévastatrice [10]. Cependant, la probabilité d’apparition et de propagation de X. fastidiosa est élevée en raison de l’inefficacité des mesures de contrôle adoptées et des insectes vecteurs qui transmettent la bactérie à travers le monde entier [10]. Le Maroc est à 13 km de l’Espagne et il est la porte d’entrée de tous les pays africains. De plus, le pays a des échanges commerciaux importants avec plusieurs pays européens, notamment la France, l’Espagne et l’Italie qui sont parmi les pays les plus infectées par cette bactérie.
L’objectif du présent travail est d’explorer un outil de gestion durable pour les oliviers menacés par X. fastidiosa. Il consiste à déterminer et à comparer le profil ionique, phénolique et flavonoïde de la ‘Picholine Marocaine’, la variété dominante et typique marocaine, avec d’autres variétés marocaines (‘Haouzia’, ‘Menara’ et ‘Meslalla’) et huit variétés étrangères (« Arbequina », « Arbosana », « Leccino », « Ogliarola », « Cellina di Nardo », Frantoio’, ‘Leucocarpa’ et ‘Picholine de Languedoc’) afin de développer des hypothèses liées à leurs résistance ou leurs sensibilités. Toutes les variétés ont été cultivées dans la même oliveraie expérimentale et dans des conditions pédoclimatiques identiques. A notre connaissance, nous sommes les premiers au Maroc à réaliser ce type de recherche proactive sur X. fastidiosa.
1. Matériel végétal
Afin d’évaluer les profils ionomiques foliaires, des échantillons de feuilles ont été prélevés d’oliviers âgés de 16 ans non infectés en décembre 2020. L’oliveraie est située à la station expérimentale de l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA) à Ain Taoujdate, région de Fès-Meknès (Maroc). Pour chaque arbre, cinq branches ont été sélectionnées, et les feuilles matures ont été détachées de la partie médiane des rameaux.
2. Réaction en chaîne par polymérase
L’ADN total a été extrait à partir des pétioles et des nervures médianes des feuilles à l’aide d’un tampon d’extraction basé sur CTAB[11]. Pour la PCR, le couple d’amorces utilisé est le RST31/RST33 ciblant le gène de l’ADNr 16S. Les amorces utilisées sont habituellement utilisées pour la détection de la bactérie dans les programmes de quarantaine.
3. Contenu polyphénolique total et la teneur en flavonoïdes
L’extraction a été réalisée sur la base de la méthode décrite par Sanders et al. [13] et modifié par Xie et Bolling [14]. La teneur totale en polyphénols (TP) a été déterminée à l’aide de la méthode Folin Micro de Cioalteu [13].
La teneur totale en flavonoïdes (TF) a été mesurée par la méthode colorimétrique avec le chlorure d’aluminium L’absorbance a été mesurée à 510 nm et les résultats ont été exprimés en équivalent catéchine par poids sec (mg CE/gdw). Trois réactions flavonoïdes ont été faites pour chaque échantillon de feuille d’olivier.
4. Analyses statistiques
Les analyses statistiques ont été réalisées à l’aide du logiciel SPSS V20. Une à sens unique de variance (ANOVA) suivi du test post-hoc de Student-Newman-Keuls ont été effectué pour les données obtenues. L’analyse principale des composantes a été réalisée à l’aide d’une matrice de corrélation.
Résultats
1- Réaction en chaîne par polymérase
L’étude de l’infection des échantillons de feuilles réalisée par PCR a confirmé l’absence de Xylella fastidiosa sur l’ensemble des échantillons de l’olivier analysés.
2- Détermination du contenu phénolique total et des flavonoïdes
La teneur totale en polyphénols entre les variétés étudiées (Fig 1) est très variable avec des différences hautement significatives (F = 157,69, p = 0,02).
La variété « Leccino » a présenté la teneur statistiquement la plus élevée (45,8 mg·GAE/g) suivie de « ‘Arbiquina’, ‘Arbozana’, ‘Menara’, ‘Haouzia’, ‘Frantoio’, ‘Leucocarpa’, ‘Meslalla’, ‘Picholine Marocaine » puis par « Picholine de Languedoc ». « Cellina di Nardò» et «Ogliarola» ont montré les teneurs les plus faibles en polyphénols (8,07 mg·GAE/g). Concernant la teneur en flavonoïdes (fig 2), les analyses statistiques ont montré une différence significative entre les variétés (F = 136,45, p = 0,03). « Leccino » a montré la teneur la plus élevée (24,49 mg·GAE/g) et « Ogliarola » la plus faible (4,89 mg·GAE/g).

Figure 1. Contenu polyphénolique total dans les variétés d’olives étudiées (mg GAE/g)

Figure 2. Teneur totale en flavonoïdes dans les variétés d’olives étudiées (mg GAE/g)
3- Analyse en composantes principales

Figure 3. Nuage de points des deux composantes principales (PC1/PC2, 98,47% de la variance totale) pour les variétés d’Olivier étudiées basé sur tous les descripteurs
L’analyse de l’APC a montré que les deux premières composantes représentent à elles seules 98,47de la variabilité totale. Seule une valeur en ACP supérieure à 0,5 a été considérée comme significative pour chaque facteur. La première composante est constituée de 10 variables, qui représentent plus de 90 % de l’ensemble des variables et expliquent 91,4 % de la variance totale (Figure 3). Le premier axe p est fortement corrélé à Ca (r = -0.921), Mn (r = 0.979), Mg (r = 0.987), Na (r = 0.970), Zn (r = 0.974), Cu (r = 0,963), P (r = 0,965), Fe (r = -0,989), TPC (r = 0,939), TFC (0,865). La deuxième composante est tracée seulement par 7,06 % de l’inertie totale.
Discussion
Les résultats de la présente étude montrent que la variété d’olivier Leccino a la teneur la plus élevée en Manganèse Mn, Cuivre Cu, Zing Zn, polyphénols totaux et en flavonoïdes, et des teneurs plus faibles en Calcium Ca et Sodium Na, ce qui est en accord avec d’autres travaux antérieurs [15]. Le manganèse, le Cuivre et le Zinc sont des micronutriments essentiels pour la croissance des plantes. Le Manganèse est impliqué dans la machinerie photosynthétique et dans la détoxification des espèces réactives de l’oxygène (ROS). Le Cuivre est essentiel à la synthèse de la chlorophylle et le Zinc est impliqué en tant que cofacteur dans de nombreuses enzymes telles que l’alcool déshydrogénase, l’anhydrase carbonique et l’ARN polymérase. Il est à noter que ces ions sont également fortement impliqués dans le système de défense des plantes et dans la diminution de la virulence de X. fastidiosa [16].
Une attention particulière est attribuée à la capacité de Zinc à réduire la pathogénicité des agents pathogènes [44]. Un gène nommé « CAZFP1 » (A Zn-finger protein gene), codant pour un facteur de transcription à doigt de zinc* s’accumule dans la phase préliminaire de l’infection des fruits du poivron par Xanthomonas campetsris pv. Vesicatoria [45]. Les domaines de liaison Zn-fingers étant liés à la réponse immunitaire déclenchée par l’effecteur [46]. Des concentrations élevées de Zn peuvent préserver les plantes par toxicité directe et par des défenses organiques déclenchées par le Zn [43, 47]. Ces ions sont fortement impliqués dans le système de défense des plantes contre les infections, dont celle engendrée par X. fastidiosa. Sur la base de ces données, il est logique que les variétés d’oliviers présentant une teneur élevée en Mn, en Cu, et en Zn et une faible teneur en Ca et en Na (Arbequina, Arbosana, Menara et Haouzia) seraient probablement intéressantes dans la résistance au développement de l’infection due à X. fastidiosa. En revanche, les variétés présentant une teneur élevée en Ca et en Na et une teneur réduite en Mn, Cu et en Zn («Frantoio», «leucocap» «Meslala») seraient plus adaptées à faire face à la formation du biofilm.
Nous pensons également que les variétés d’oliviers déficientes en ions mentionnés seraient probablement plus sensibles à une infection rapide et forte de X. fastidiosa (Picholine marocaine et Picholine de Languedoc) sur la base des données actuelles [18]
* Les doigts de zinc sont de petits motifs structuraux trouvés dans les protéines et capables d’ordonner en complexe un ou plusieurs ions zinc pour stabiliser leurs plis.
Conclusion et perspectives
Le phytopathogène X. fastidiosa, responsable du syndrome de déclin rapide de l’olivier, est considéré comme un pathogène de quarantaine au Maroc. Cette étude a fourni des informations sur la résistance ou la sensibilité éventuelle des variétés largement cultivées vis-à-vis de ce pathogène sur la base de l’analyse des ions, du contenu phénolique et des flavonoïdes
Par conséquent, dans le cadre de stratégie de prévention, nous recommandons vivement de promouvoir ces variétés relativement résistantes à X. fastidiosa et en même temps tracer un programme d’amélioration génétique pour intégrer la résistance à cet agent pathogène aux variétés marocaines. Cependant, et ce n’est qu’une question de temps avant que X. fastidiosa infecte les oliviers au Maroc, des études approfondies sur le développement d’un remède efficace sont nécessaires. L’utilisation du calcium comme traitement peut être une solution efficace pour la prévention et stopper les premières étapes de l’infection par la bactérie.
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1 : INRA CRRA Meknès
2 : Fac. Sciences Meknès
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Références :
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