1. L’agrégation : une nouvelle forme de contractualisation
Depuis plusieurs décennies, l’expansion des différentes formes de contractualisation (agrégation) entre les producteurs (agrégés) et les entreprises agroalimentaires (agrégateurs) est une des évolutions marquantes des systèmes agraires et agroalimentaires mondiaux. Au Maroc, la pratique de l’agriculture contractuelle est ancienne mais elle a connu, depuis le lancement du PMV, un regain d’intérêt avec une diversification de ses formes et des acteurs impliqués. A cet égard, une série de mesures d’ordre institutionnel, réglementaire et incitatif a été entreprise. Formellement, le modèle d’agriculture contractuelle, préconisé dans le cadre du PMV, repose sur une double contractualisation : les conventions, établies entre l’Etat et les agrégateurs, d’une part, et des contrats entre ces derniers et les exploitants agrégés, d’autre part.
2. Que disent les contrats des projets d’agrégation des céréales ?
Le secteur des céréales figure parmi ceux retenus pour le développement de l’agriculture contractuelle. Pour ce secteur, un contrat programme, couvrant la période 2009-2020, a été établi entre l’Etat et les représentants de l’interprofession. Ce dernier avait prévu la mise en œuvre de plus d’une centaine de projets d’agrégation dans les principaux bassins céréaliers.
Certes, le développement d’un système d’approvisionnement contractuel, adapté au contexte du secteur céréalier marocain, serait de nature à renforcer les liens verticaux dans les chaînes d’approvisionnement des entreprises agroalimentaires. Toutefois, édifier une organisation sous forme d’agrégation repose sur un socle majeur : les dispositions contractuelles entre les parties. Pour réussir et être durables, ces dispositions doivent être élaborées de sorte à promettre et à garantir des bénéfices à chaque partie contractante. L’analyse des contrats des projets d’agrégation des céréales lancés à l’échelle nationale a permis de relever qu’elles sont structurées en quatre grandes catégories de clauses.
2.1 Fourniture d’intrants, encadrement et méthode de production
Les clauses de cette catégorie figurent parmi les engagements des agrégateurs au profit des agrégés. Elles englobent généralement les détails sur la fourniture des intrants, des prestations de service et de l’encadrement. Les intrants fournis restent la propriété de l’agrégateur et doivent être utilisés exclusivement sur les parcelles d’agrégation. Les stipulations contractuelles relatives aux types, calendriers et lieux de livraison, prix ainsi qu’aux modalités de paiements varient selon les contrats et les types d’intrants. Quant aux modalités de règlement, elles peuvent être réalisées soit en une seule échéance, lors de la livraison de l’intrant, soit par déduction du prix de l’intrant du montant total d’achat lors de la livraison de la production. Les obligations de conseil et d’assistance technique ainsi que celles associées aux méthodes de production sont exprimées, soit en des termes assez généraux, soit en précisant le type d’intervention à mener. La plupart des contrats stipulent que les agrégateurs sont tenus d’encadrer les agrégés et d’assurer le suivi des opérations culturales selon un programme concerté entre les deux parties.
2.2 Quantité, qualité et modalités de livraison de la production
Outre les aspects quantitatifs et qualitatifs de la production, objet d’agrégation, cette catégorie porte aussi sur les clauses liées aux modalités de livraison. Les contrats sont souscrits sur des superficies et non sur un volume de production, mais ils donnent lieu à une rémunération des agrégés en fonction des quantités livrées selon les normes de qualité convenues. La quasi-totalité des contrats intègrent des clauses relatives à l’exclusivité. Celles-ci insistent sur les engagements des agrégés en matière de superficie à cultiver, à la livraison de la production à l’agrégateur et à l’interdiction de contracter ou de conclure d’autres engagements de livraison avec des tiers. D’une part, l’agrégé a le devoir de livrer la production, objet du contrat, respectant les réglementations nationales sur la qualité des produits. D’autre part, l’agrégateur a, quant à lui, l’obligation de contrôler les produits reçus en livraison en fonction des normes minimales relatives à la qualité.
2.3 Fixation des prix et modalités de paiement
Pour ce qui est des clauses de cette catégorie, elles se rapportent principalement à la fixation des prix d’achat du produit en relation avec les normes de qualité requises ainsi qu’aux modalités de paiement. Les prix sont généralement fixés soit sur la base du prix du marché soit sur la base du prix référentiel fixé par le ministère d’agriculture. La majorité des contrats examinés ne donnent aucune indication formulant le principe selon lequel l’agrégateur s’engage à rémunérer, moyennant des primes, les agrégés dont la qualité de production excède les normes convenues. Les contrats ne disent rien en matière de réfaction. Les modes de paiements (chèque, espèce, virement bancaire, etc.) n’ont été mentionnés dans aucun des contrats consultés. Concernant les délais de paiements, ils varient de 15 à 21 jours, à partir de la date de la dernière livraison de la production.
2.4 Gestion et partage des risques
Cette catégorie concerne les clauses relatives à la gestion et le partage des risques, aussi bien de production que de commercialisation, qui ont constitué un des arguments avancés de l’agrégation agroalimentaire. Pour les risques de commercialisation, les spécifications contractuelles n’ont prévu aucune clause relative aux risques de marchés et à la fluctuation des prix. Pour le cas des céréales, et plus particulièrement du blé tendre, les risques sur les prix restent, globalement, moins importants, compte tenu des mesures étatiques prises pour la protection de ce secteur. Quant aux risques de production auxquels sont exposés les agrégés, ils portent aussi bien sur le risque de non conformité que sur le risque de rendement.
Le premier risque est associé aux caractéristiques qualitatives finales de la production. Pour la totalité des contrats, les clauses précisent que les agrégés ont le devoir de livrer la production respectant les normes de qualité convenues. Les exploitants agricoles portent ainsi seuls les risques de ne pas obtenir la qualité requise, même s’ils appliquent les conseils et les méthodes de production exigés par les agrégateurs. Pour ce qui est du risque de rendement, il est aussi supporté par les agrégés. Ces derniers doivent souscrire l’assurance multirisque et/ou d’incendie individuellement ou à travers une délégation de créance au profit des agrégateurs.
3. Principaux constats relevés et implications
De cette analyse préliminaire des contrats des céréales pratiqués au Maroc, il se dégage certes des efforts importants en matière de formalisation et de réglementation des relations contractuelles. Néanmoins, les formes de présentation des contrats consultés souffrent de plusieurs lacunes et insuffisances. Plusieurs clauses manquent ou sont imprécises tout particulièrement aux sujets des garanties, de réfaction, des primes de qualité, etc. Sachant que le recours à des organismes spécialisés pour la rédaction des contrats est rarement opéré, des efforts importants restent à apporter pour la standardisation de leur contenu et la normalisation de leur structure qui prendraient en ligne de compte les orientations de la loi sur l’agrégation. Aucune référence à cette loi n’a été évoquée dans les contrats consultés.
La pratique actuelle des contrats d’agrégation laisse supposer que les agrégateurs jouent un rôle capital dans la conclusion des contrats, mais aussi une implication limitée des agriculteurs dans le processus de négociation. Ainsi, le département de l’agriculture est appelé à doter les structures en charge des projets d’agrégation de services juridiques ayant pour mission d’encadrer les parties, de valider et d’approuver les projets de contrats soumis sur la base de leur conformité avec les réglementations en vigueur tout en veillant à assurer une équité entre les parties contractantes. De son côté, l’interprofession céréalière doit accompagner ce processus à travers l’animation, l’encadrement et la formation des acteurs (agrégés et agrégateurs) sur les pratiques contractuelles.