L’IMPACT DE LA DEFORSTATION SUR LE STOCK DU CARBONE DU SOL DANS LA REGION DE MEKNES.

Par Ir Amal Labaioui (INRA CRRA Meknès)

Ir Amal Labaioui, Chercheure (URGRNSEQ - CRRA Meknes)
Ir Amal Labaioui,
Chercheure en Science du Sol
INRA – CRRA Meknes

La stabilisation de la concentration atmosphérique en dioxyde du carbone (CO2) est une préoccupation environnementale mondiale majeure de notre époque, étant donné que cette concentration n’a cessé d’augmenter depuis la révolution industrielle (Mishra, et al., 2010). Les écosystèmes forestiers jouent un rôle essentiel dans la séquestration du carbone, en tant que réservoir majeur de carbone sur notre planète. En fait, ils stockent environ 46% de l’ensemble des réserves du carbone terrestre (Watson, et al., 2000). La majeure partie du carbone dans les écosystèmes forestiers est stockée dans le sol, et les forêts abritent plus de 40 % des stocks de carbone organique du sol (COS) de l’ensemble des écosystèmes terrestres (IPCC, 2007).

Le sol est reconnu comme l’un des principaux réservoirs de carbone de notre planète, surpassant la végétation et l’atmosphère. En effet, le réservoir de carbone organique du sol est environ trois fois plus important que celui de la végétation et environ deux fois plus important que celui de l’atmosphère (Lal, 2004; Batjes, 1996). Une légère fluctuation du réservoir de carbone du sol peut entraîner une modification importante du réservoir de carbone atmosphérique (Cai, et al., 2020). Par conséquent, augmenter la séquestration du carbone atmosphérique dans les sols offre une possibilité viable pour atténuer le réchauffement climatique mondial. Le changement d’affectation des sols a un impact significatif sur les stocks du carbone du sol (COS) et constitue la deuxième source d’émissions de dioxyde de carbone dans l’atmosphère après la combustion de combustibles fossiles (Don, et al., 2011; Jallat, et al., 2021). Le principal type de changement d’affectation des sols est la déforestation au profit de terres cultivées (Smith, et al., 2016). Les changements dans l’utilisation des terres, de la végétation naturelle aux terres cultivées, peuvent entraîner une variation importante des processus écologiques du sol et des fonctions de l’écosystème. Ces effets comprennent des variations dans l’apport, la production, la composition et la dynamique du COS et des perturbations dans l’équilibre du stock de COS (Bradford, et al., 2016).

Dans la région de Meknès, de vastes zones forestières ont été défrichées pour l’expansion des terres agricoles. La forêt couvrait 2528 ha en 2009, mais la déforestation a réduit cette superficie à 1982 ha à nos jours, ce qui aurait un impact sur le stock de carbone du sol. Cependant, les impacts de la déforestation sur les stocks de carbone du sol ont été peu rapportés.  Ce travail vise à étudier les effets de la déforestation sur les stocks de carbone du sol dans la couche arable (0-30 cm).

Matériel et Méthodes

L’étude a été menée dans une forêt naturelle et des terres cultivées adjacentes dans la région de Meknès située au centre du Maroc, entre 33,65° et 34,19° nord et 6,15° et 5,84° ouest. Au total, 15 sites ont été échantillonnés dans les forêts naturelles et les terres cultivées adjacentes, dans la couche 0-30 cm. Le carbone organique du sol (SOC) a été déterminé par la méthode Walkley-Black (Walkley et Black, 1934). Le stock de carbone organique dans la couche 0-30 cm a été calculé comme suit (Sabir et al., 2020) :

Stock de carbone organique du sol (SOC) (t/ha) = C * Da * E

SOC est le stock de carbone (kg C.m-2 ou10 Mg C.ha-1),

C est la teneur en carbone organique en g C.kg-1 du sol 

Da est la densité apparente en kg.dm-3

E est l’épaisseur en mètres.

Le test t de Student a été utilisé pour expliquer la différence du stock du carbone entre les deux occupations du sol.

Résultats et discussion

Le calcul du stock de carbone montre une moyenne de 3,78 kg/m2 dans les parcelles où l’agriculture est pratiquée, avec un écart type de 1,013, ce qui indique une certaine variation des stocks de carbone, avec une dispersion relativement faible autour de la moyenne. Les sols forestiers avaient une moyenne de 4,99 kg/m2 avec un écart type de 0,32 (Tableau 1). Cela suggère que les valeurs sont relativement proches de la moyenne, ce qui indique une faible dispersion des données. Par conséquent, aucune différence significative dans les stocks de carbone n’a été observée entre les échantillons de forêt, malgré des types de végétation différents. L’analyse des moyennes révèle une disparité significative entre les échantillons prélevés dans les zones forestières et ceux prélevés dans les zones non forestières. La différence entre les moyennes des deux groupes est de 1,21 et est statistiquement significative (p<0,05 et 95% CI= 0,63264 à 1,79397). Cette différence significative suggère une disparité marquée du stock de carbone entre ces deux types d’utilisation des sols.

Table 1: Stock du carbone du sol par type d’utilisation des terres

La teneur en SOC dépend de l’apport de carbone fourni par la végétation, qui varie en fonction du type de végétation (Osinaga et al., 2018). Follet et al., (2009) ont montré que le stock de carbone organique diminue comme suit : Forêt > pâturage>champs cultivés. La forêt a le contenu le plus important, en raison de sa productivité primaire nette plus élevée, les pâturages représentent la situation intermédiaire et la contribution la plus faible correspond aux sols cultivés.

Conclusion

Dans la zone d’étude, les résultats suggèrent que la conversion des forêts naturelles en terres agricoles a entraîné une perte significative du contenu en carbone organique du sol (SOC), d’environ 24%. Nous recommandons de redoubler d’efforts pour minimiser ou arrêter la déforestation dans la région, car les forêts fournissent de nombreux services écosystémiques essentiels tels que la séquestration du carbone, la régulation du climat et des inondations, et la conservation de la biodiversité. L’adoption de pratiques agricoles telles que l’agroforesterie ou l’agriculture de conservation, qui permet l’utilisation durable des ressources naturelles sans perturber l’équilibre naturel des écosystèmes, pourrait constituer une solution pour augmenter les stocks de carbone organique du sol au niveau des terres cultivées.

Références bibliographiques

Batjes N. (1996). Total carbon and nitrogen in soils of world. European Journal of Soil Science. Vol47(2). p. 151–163.

Bradford M., Berg B., Maynard D., Wieder W., Wood S. and Cornwell W. (2016). Understanding the dominant controls on litter decomposition. Journal of ecology.Vol104(1). p.229–238

Cai Y. and  Chang S. (2020). Disturbance Effects on Soil Carbon and Greenhouse Gas Emissions in Forest Ecosystems. Forests. Vol 11.

Don A., Schumacher J. and Freibauer A. (2011). Impact of tropical land-use change on soil organic carbon stocks—A meta-analysis. Global Change Biology. Vol.17(4). p. 1658-1670.

Follet R. F., Kimble J. M., Pruessner E. G., Samson-Liebig S. and Waltman S. (2009). Soil organic carbon stock with depth and land use at various U.S. sites, in: Soil carbon sequestration and the greenhouse effect, edited by: Lal, R., ASACSSA-SSSA, Madison, USA. p.29–46. 

IPCC. (2007). Climate Change 2007: The Physical Science Basis. Contribution of Working Groups I, the Fourth Assessment Report of IPCC. Cambridge University Press.

Jallat H., Khokhar M., Kudus K., Nazre M., Saqib N., Tahir U. and  Khan W. (2021). Monitoring Carbon Stock and Land-Use Change in 5000-Year-Old Juniper Forest Stand of Ziarat, Balochistan, through a Synergistic Approach. Forests. 12(1). 

Lal, R. (2004). Soil carbon sequestration to mitigate climate change. Geoderma. Vol123. p.1-22.

Mishra U., Lal R., Liu D. and VanMeirvenne M.(2010). Predicting the spatial variation of the soil organic carbon pool at regional scale. Soil Science. Vol.74(3). p.906-914.

Osinaga N. A., Álvarez C. R. and Taboada M. A. (2018). Effect of deforestation and subsequent land use management on soil carbon stocks in the South American Chaco.  SOIL. Vol 4 (4). p. 251–257.

Smith P., House J., Bustamante M., Sobotka J., Harper R., Pan G., . . . Rumpel C. (2016). Global change pressures on soils from land use and management. Global change biology. Vol22(3). P. 1008–1028.  Watson , R., Noble, I., Bolin , B., Ravindranath , N., Verardo, D., & Dokken, D. (2000). Land Use Change and Forestry . IPCC Special Report. IPCC Publisher.

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