LES BIOFERTILISANTS MICROBIENS : UNE VOIE PROMETTEUSE POUR AMELIORER LA SANTE ET LA PRODUCTIVITE DE LA CULTURE DE LA POMME DE TERRE FACE AU CHANGEMENT CLIMATIQUE.

Par Dr Khaoula Habbadi (INRA CRRA Meknès)

Dr Khaoula Habbadi, Chercheure
Protection des arbres fruitiers
UR.PP – CRRA Meknès

La pomme de terre revêt une importance capitale dans le panorama agricole du Maroc, étant un pilier fondamental de la sécurité alimentaire et de l’économie nationale. En effet, avec une production annuelle dépassant 1,5 million de tonnes, la pomme de terre est l’une des cultures les plus cultivées du pays. Cette importance n’est pas limitée à l’échelle nationale, car la pomme de terre se classe également comme la quatrième culture la plus cultivée au niveau mondial, avec une production annuelle dépassant les 300 millions de tonnes. Cette culture représente ainsi une source cruciale de nutrition pour des millions de personnes à travers le monde, fournissant des glucides complexes, des vitamines et des minéraux essentiels à une alimentation équilibrée. Par conséquent, son rôle dans la sécurité alimentaire mondiale ne peut être sous-estimé, car elle contribue à atténuer les défis liés à la faim et à la malnutrition dans de nombreuses régions.

Défis de la culture de la pomme de terre face au changement climatique

La production de pommes de terre au Maroc est confrontée à une série de défis sans précédent, principalement attribuables aux impacts du changement climatique. Les augmentations des températures moyennes, les schémas de précipitations de plus en plus irréguliers et les phénomènes météorologiques extrêmes, tels que les sécheresses et les inondations, exercent une pression considérable sur la productivité et la stabilité des récoltes de pommes de terre. Ces conditions météorologiques imprévisibles entraînent des cycles de croissance perturbés, une augmentation des maladies et des ravageurs, ainsi qu’une utilisation accrue des ressources en eau. Les agriculteurs marocains se retrouvent ainsi confrontés à des défis croissants pour maintenir leurs moyens de subsistance et contribuer à la sécurité alimentaire nationale. Face à cette réalité, il devient impératif de développer des stratégies d’adaptation efficaces pour assurer la résilience et la durabilité de la culture de la pomme de terre au Maroc. Ces stratégies devront non seulement inclure des pratiques agricoles innovantes et durables, mais également s’appuyer sur la recherche scientifique et l’expertise locale pour relever les défis complexes posés par le changement climatique. En adoptant une approche proactive et collaborative, il est possible de surmonter ces défis et de garantir la sécurité alimentaire et le bien-être des communautés agricoles marocaines à long terme.

L’utilisation de PGPM comme solution durable

Dans ce contexte de défis croissants, l’utilisation de microorganismes favorisant la croissance des plantes (PGPM=Plant Growth Promoting Microorganims) émerge comme une solution prometteuse pour renforcer la santé et la productivité de la culture de la culture de pomme de terre au Maroc. Le recours aux PGPM constitue une alternative agro-écologique durable permettant d’améliorer la résilience des plantes face aux contraintes environnementales et aux maladies émergentes. Ces microorganismes bénéfiques agissent en symbiose avec les racines des plantes, favorisant leur croissance, augmentant leur tolérance au stress et renforçant leur système immunitaire. En améliorant l’absorption des nutriments du sol et en stimulant la croissance des racines, les PGPM permettent aux plantes de mieux faire face aux variations climatiques et aux maladies. Leur utilisation peut ainsi contribuer à réduire la dépendance aux pesticides et aux fertilisants chimiques, tout en améliorant la santé des sols et en préservant la biodiversité. En intégrant les PGPM dans les pratiques agricoles, les agriculteurs marocains pourraient potentiellement minimiser et/ou atténuer les effets négatifs du changement climatique sur cette culture.

Évaluation économique de l’utilisation des PGPM

Dans un point de vue économique, les coûts d’utilisation des PGPM en tant qu’alternative aux produits chimiques conventionnels dépendent de divers facteurs, notamment le type de PGPM utilisé, la méthode d’application et l’échelle de la production agricole. Initialement, les PGPM peuvent impliquer des coûts plus élevés en raison de leur développement, de leur production et de leur application spécifique. Cependant, sur le long terme, les avantages des PGPM peuvent souvent surpasser ces coûts initiaux. Les PGPM peuvent améliorer la santé du sol et la résilience des cultures, réduire les besoins en engrais chimiques et en pesticides, ainsi que favoriser une utilisation plus efficace de l’eau et des nutriments. Par conséquent, les économies réalisées sur les intrants chimiques et la réduction des risques environnementaux et sanitaires peuvent potentiellement compenser les coûts initiaux des PGPM. Dans de nombreux cas, les gains générés par l’utilisation des PGPM peuvent donc dépasser les coûts de leur application, offrant ainsi une solution économiquement viable et durable pour l’agriculture.

Recherche et développement

Au sein du laboratoire de phytobactériologie et de lutte biologique de l’INRA de Meknès, des recherches poussées ont été menées dans le but de constituer une collection de microorganismes (PGPM) bénéfiques pour les plantes, efficaces, et capables d’influencer favorablement la croissance et la défense de diverses cultures agricoles. Ces études ont été réalisées en deux phases distinctes. Dans un premier temps, l’objectif était de sélectionner les souches les plus prometteuses parmi une collection de microorganismes, notamment Aureobasidium pullulans, Klebsiella sp., Pseudomonas koreensis et Bacillus subtilis, en termes de capacité à améliorer la croissance des plantes et à fournir une protection contre les maladies. Dans un deuxième temps, ces souches sélectionnées ont été testées sur le terrain, dans différentes localités, pour évaluer leur efficacité réelle sur la croissance de la pomme de terre et leur capacité à lutter contre les maladies, notamment dans les régions caractérisées par des conditions climatiques contrastées, telles que Ain Taoujdate et Lannoceur.

Les résultats des essais ont mis en évidence des effets significatifs des microorganismes bénéfiques pour les plantes sur les cultures de pommes de terre, soulignant ainsi leur potentiel pour améliorer la productivité agricole. L’inoculation des variétés Siena et Bellini avec ces PGPM a entraîné des améliorations notables à la fois en termes de croissance des plantes et de rendement en tubercules de pomme de terre dans les régions d’Ain Taoujdate et de Lannoceur.

Sur le plan agronomique, les PGPM ont influencé positivement la vigueur des plantes, mesurée par des paramètres tels que la taille, le poids frais et sec des plants, ainsi que le taux de croissance foliaire. Les observations sur le terrain ont montré une croissance plus vigoureuse et une densité foliaire accrue chez les plants de pommes de terre inoculés avec des souches d’A. pullulans par rapport aux plants non inoculés. De plus, des analyses biochimiques ont révélé une augmentation significative de la teneur en chlorophylle des feuilles chez les plants inoculés, indiquant une meilleure capacité photosynthétique et une efficacité accrue dans la production de biomasse végétale. Ces résultats sont cohérents avec la capacité des PGPM à stimuler la croissance des plantes en favorisant l’absorption des nutriments, en augmentant la tolérance au stress et en modulant les voies de signalisation hormonale.

En outre, les PGPM ont favorisé un développement racinaire plus profond et plus ramifié, ce qui a amélioré l’efficacité d’absorption des nutriments, de l’eau et l’ancrage des plantes dans le sol. Les analyses morphologiques des racines ont révélé une augmentation du nombre et de la longueur des racines latérales chez les plants de pommes de terre inoculés, ce qui est essentiel pour une meilleure exploitation des ressources du sol, et par conséquent, et une résistance accrue aux stress biotiques et abiotiques. Ces résultats démontrent que l’utilisation des PGPM peut améliorer la santé des racines et favoriser une croissance équilibrée et résiliente des plantes de pommes de terre, ce qui contribue à une production agricole plus durable et rentable.

Figure 1 : Exploration de l’effet des PGPM sur la culture de pommes de terre au domaine expérimental de l’INRA à Ain Taoujdate : Jour d’observation et mesures de certains paramètres agronomiques.

Les rendements les plus élevés ont été observés pour la variété Siena dans la région d’Ain Taoujdate (Figure 1), avec des gains significatifs attribués spécifiquement à l’utilisation des deux souches d’A. pullulans. Le rendement moyen pour la variété Siena inoculée avec les souches d’A. pullulans Ach1-1 et Ach1-2 à Ain Taoujdate a atteint respectivement 9,95Q/ha et 9,5Q/ha, tandis que pour la même variété sans inoculation, il était seulement de 7,975Q/ha et 7,475Q/ha. Les souches d’A. pullulans ont également démontré leur efficacité dans l’augmentation des rendements pour la variété Bellini, bien que dans une moindre mesure comparée à la variété Siena. Cette constatation suggère que les PGPM peuvent avoir un impact positif sur différentes variétés de pommes de terre, offrant ainsi une solution polyvalente pour améliorer la productivité agricole dans différentes conditions environnementales. Ces résultats mettent en lumière l’importance de considérer les variations régionales dans l’efficacité des PGPM. Bien que les rendements les plus élevés aient été observés à Ain Taoujdate, les souches d’A. pullulans ont également montré des effets positifs sur les rendements à Lannoceur. Cette observation souligne l’importance de prendre en compte les conditions environnementales spécifiques à chaque région lors de la sélection et de l’application des PGPM pour maximiser leur efficacité.

En plus des gains de rendement, les microorganismes bénéfiques pour les plantes ont également démontré un effet significatif dans la réduction de la pourriture chez les variétés sensibles, en particulier la variété Siena. L’utilisation des souches d’A. pullulans a permis de maintenir la qualité post récolte (Figure 2) des tubercules de pomme de terre, même après une période prolongée de stockage, en réduisant la progression de la pourriture. Les analyses microbiologiques ont révélé une diminution notable de la présence de pathogènes responsables de la pourriture dans les tubercules traités par rapport aux tubercules non traités. Cette protection accrue est attribuable à l’action des PGPM, qui colonisent la surface des tubercules et compétitionnent avec les pathogènes pour les nutriments et l’espace, réduisant ainsi leur croissance et leur capacité à provoquer la pourriture.

Figure 2 : Méthodologie de la conservation de la pomme de terre : A : variété Senna, B : variété Bellini, C et D : variétés traitées avec des souches de PGPM et couvertes de paille, E : Couvertes de plastique noir.

Conclusion

En conclusion, les résultats mettent en évidence le potentiel prometteur des PGPM pour améliorer la santé et la productivité des cultures de pommes de terre, offrant ainsi des solutions agricoles durables et respectueuses de l’environnement. Ce potentiel s’étend aux perspectives de développement industriel de cette technique, avec des avancées en microbiologie et en biotechnologie ouvrant la voie à une diversification des souches de PGPM adaptées à différents contextes agricoles. Ces progrès offrent une opportunité significative pour l’industrie agricole, en favorisant la création de produits plus efficaces et spécifiques, pouvant mieux répondre aux besoins des agriculteurs à travers le monde. L’utilisation à grande échelle de PGPM pourrait révolutionner les pratiques agricoles en renforçant la résilience des cultures face aux stress abiotiques et biotiques, en réduisant la dépendance aux intrants chimiques coûteux et en améliorant la santé des sols. Cette transition vers une agriculture plus durable serait bénéfique à la fois pour l’environnement et pour la santé humaine, tout en répondant aux demandes croissantes de produits agricoles de qualité. Cependant, pour concrétiser ces avantages, des investissements supplémentaires dans la recherche, la sensibilisation et la formation sont nécessaires pour soutenir l’adoption et l’intégration efficaces des PGPM dans les pratiques agricoles à travers le monde, assurant ainsi une transition réussie vers une agriculture plus durable et résiliente.

Ce contenu a été publié dans Protection des plantes, avec comme mot(s)-clé(s) , , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Les commentaires sont fermés.