Les jeunes ruraux, des stratégies de vie exiguës. Par Abderrahim Bentaibi, Noureddine Bahri (INRA Meknès) et Thierry Desrues (IESA Cordoue)

Dr Abderrahim Bentaibi, Chercheur, Sociologie du développement (URGDRNESR - CRRA Meknès)

Dr Abderrahim Bentaibi, Chercheur, Sociologie du développement (URGDRNESR – CRRA Meknès)

Les jeunes ruraux : un potentiel certain, un statut à élucider

La jeunesse constitue à la fois un atout formidable pour le pays et sa chance pour l’avenir. Actuellement les jeunes, de 15 à 34 ans, représenteraient plus de 40% de la population légale marocaine, (RGPH, 2004). Au-delà  de leur catégorisation statistique, les jeunes offrent un potentiel humain considérable dont la valorisation constitue un défi crucial pour la collectivité nationale. Paradoxalement, cette richesse, de notre présent et de notre avenir, reste mal connue en terme sociologique et culturel. Le déficit de connaissance que le Maroc a cumulé sur sa jeunesse est patent et doit être comblé pour mettre notre pays  à la hauteur des enjeux du développement durable dans un contexte de mondialisation.

En outre, le poids démographique de cette jeunesse est révélateur de l’importance de ses besoins en matière de formation, d’emploi et d’intégration dans le processus de développement.  Les jeunes ruraux constituent ainsi un défi essentiel pour le développement rural et un axe stratégique inévitable pour toute politique de développement au Maroc.

C’est dans ce contexte qu’a été engagé un travail conséquent de recherche  visant l’exploration des diverses stratégies de vie des jeunes ruraux en zone de montagne du Maroc, au sein de communes en situation de contraintes sociale, économique et écologique. Il a été de même visé de cerner la perception de la situation personnelle, communautaire et nationale de ces jeunes, tant aujourd’hui que dans un proche avenir et d’analyser leur niveau de participation citoyenne.

Les travaux de terrain se sont déroulés au niveau de trois différents sites de la chaîne du Moyen Atlas à savoir Itzer, Boulemane et Aïn Leuh. La collecte de l’information quantitative et qualitative requise a privilégié la réalisation d’enquête directement administrée auprès d’un échantillon de 305 jeunes de 18 à 35 ans en plus de focus groupes animés dans les trois sites.

Principales stratégies de vie des jeunes ruraux 

Considérant leur potentiel propre et interagissant avec les rares opportunités et les fortes contraintes de leur environnement, les jeunes ruraux adoptent des alternatives variées en vue d’un positionnement social qui réponde au mieux à leurs attentes spécifiques.

Les stratégies de vie développées par les jeunes ruraux des trois sites considérés s’articulent essentiellement autour de deux principales alternatives :

Les études :

 Au regard de leur âge les prédisposant à fréquenter les lycées et universités en l’occurrence, une bonne proportion des jeunes se proclame du statut d’étudiant. Cette proportion représente plus de 28% de l’échantillon de cette étude. Le site de Aïn Leuh se distingue par rapport aux deux autres sites par l’enregistrement d’une proportion de jeunes étudiant(e)s beaucoup plus élevée ; 43% contre 27% à Itzer et 21% à Boulemane. La grande partie des étudiant(e)s, de sexe masculin en majorité, sont soit en secondaire ou en université alors qu’une petite minorité de jeunes scolarisés (14%) ont accès à une formation professionnelle. Les jeunes étudiant(e)s tirent quand même une bonne satisfaction de ce statut social puisque 74% d’entre eux/elles déclarent être satisfait(e)s des études menées.

Le travail ou la recherche d’emploi :

L’accès au marché du travail demeure une première option pour les jeunes particulièrement à Boulemane et à Itzer. En effet, 32% et 25% sont successivement les proportions des jeunes enquêté(e)s au niveau des trois sites déclarant « travailler » ou être « au chômage ou à la recherche d’un emploi ». Ces deux proportions s’élèvent à 39% et 32% à Boulemane où cette alternative (accès à l’emploi) est dominante. Les jeunes filles paraissent moins concernées par cette alternative, elles sont plutôt majoritaires à déclarer « Ne rien faire » avec des proportions variant entre 60% à Boulemane et 93% à Itzer. Cette déclaration sous entend en fait que la jeune se considère comme une femme au foyer ou qu’elle est juste tout le temps à la maison, quoi que seules 15% de jeunes filles de l’échantillon sont mariées. Les jeunes ruraux désireux accéder au marché du travail sont recrutés en priorité par le secteur primaire. En effet, l’agriculture qui constitue le premier secteur de l’économie rurale recrute près de 34% des jeunes de notre échantillon dont plus de la moitié en tant qu’ouvriers agricoles journaliers. L’autre petite moitié (16% des jeunes au travail) se déclare être « agriculteur » alors que dans plusieurs cas il ne s’agit que d’aide familial. L’exploitation demeure souvent sous l’autorité inébranlable du père de famille ou du frère aîné et la jeune fratrie n’est considérée qu’en tant que main d’œuvre familiale à bon prix.

Quelle insertion des jeunes au développement agricole et rural ?

Tout le monde s’accorde sur l’idée que les jeunes en milieu rurale représentent un capital humain important dynamique mais frustré, aussi bien, par le manque de formation et d’encadrement, que par la vulnérabilité et la précarité des différents moyens  mis à leur disposition. Cette vulnérabilité est d’autant plus accrue chez les jeunes filles rurales.

Les jeunes ruraux arrivent mal à développer des projets de vies indépendants, ils se basent essentiellement sur des activités à caractère familial, combinées à de « petites » activités génératrices de revenu, notamment le salariat agricole et les activités secondaires ; « petits boulots », artisanat,  travaux de chantier et commerce.

Leurs rapports à l’agriculture demeurent toutefois bien ancrés interpellant un ciblage des politiques publiques en vue de favoriser une meilleure intégration socioprofessionnelle des jeunes ruraux. N’est-ce pas là une bonne garantie de durabilité des actions du développement agricole et rural ?

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Cet article reprend une partie d’une plus large étude réalisée en 2012/13 et dont les résultats saillants ont fait l’objet de communication au World Congress for Middle Eastern Studies (Anakara, août 2014).

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