IMPACT DE LA COORDINATION VERTICALE SUR LES PRIX PAYES AUX PRODUCTEURS AGRICOLES : CAS DE LA FILIERE DU POMMIER.

El Housain Bouichou1,2, Aziz Fadlaoui1 et Khalil Allali2

El Houssain Bouichou
Technicien au CRRA Meknès
PhD Student INRA CRRA Meknès / IAV Hassan II

1 : INRA CRRA-Meknès ;

2 : IAV Hassan II CEDoc.

Avant le lancement du Plan Maroc Vert (PMV), plusieurs expériences de coordination verticale ont été initiées au Maroc, à travers notamment l’agriculture contractuelle (AC). Certes, certaines expériences ont réussi dans le domaine de l’AC, notamment pour les filières de lait, de sucre et de primeurs. Néanmoins, en raison de contraintes inhérentes à l’organisation et à la mise en œuvre des contrats, d’autres initiatives ont échoué. Ces expériences ont évolué dans un contexte marqué par des réformes visant à substituer progressivement le marché à l’intervention de l’État, et un rôle marginal des autorités publiques dans la supervision et l’établissement du cadre légal et réglementaire de l’AC.

Après le lancement du PMV, une série de mesures d’ordre institutionnel, réglementaire et incitatif a été entreprise en vue d’étendre l’AC. Depuis lors, plusieurs projets d’agrégation ont été lancés à l’échelle nationale. Ces derniers ont été établis entre des agrégateurs, disposant d’unités de valorisation industrielles, et des producteurs à titre individuel ou organisés (agrégés). Ainsi, l’agrégation est supposée permettre aux agrégateurs de sécuriser l’approvisionnement de leurs unités avec une production de qualité garantie et traçable, d’une part, et aux producteurs agrégés de bénéficier des techniques modernes de production, du financement et d’accéder au marché intérieur et extérieur. C’est dans ce contexte que s’inscrit ce travail qui vise à analyser l’apport de l’agrégation en matière d’accroissement des prix de vente des producteurs agrégés, en traitant le cas de la filière du pommier. 

Démarche adoptée

La démarche méthodologique adoptée a été articulée autour de trois phases complémentaires. La première phase a été consacrée à la collecte des données. Celles-ci ont été générées moyennant une enquête directe auprès d’un échantillon de producteurs de pommes dans la province de Midelt. Cet échantillon a été constitué de producteurs impliqués dans un projet d’agrégation et de producteurs non agrégés. Près de 223 d’agrégés, exploitant une superficie totale de 1950 ha, ont bénéficié de ce projet. Le sous-échantillon des agrégés compte 120 producteurs de pommes choisis de manière aléatoire, soit un taux de sondage de près de 52%. Quant au sous-échantillon des producteurs non agrégés, il compte 70 pomiculteurs. Ces derniers ont été sélectionnés en ayant recours à la méthode des scores de propension et en se basant sur deux critères, à savoir la superficie et le rendement des pommes.

Au cours de la seconde phase, un modèle économétrique, inspiré de la méthode des prix hédonistes a été estimé en vue de capturer la relation entre les caractéristiques des pommes et leurs prix. Cette méthode part du principe simple que le prix d’un bien ou d’un service dépend des caractéristiques ou attributs qui le constituent. Au total, trois catégories de variables ont été retenues comme déterminants des prix des pommes (Figure 1). Il s’agit des : 1) variables socio-économiques comprenant le niveau d’instruction du producteur et son expérience ainsi que la taille de l’exploitation et le rendement par ha ; 2) attributs de la qualité des pommes portant sur la variété utilisée, le calibre du fruit et l’origine géographique ; et 3) autres facteurs englobant les conditions de paiement, la saisonnalité des ventes et les modes de coordination verticale. Ces derniers comprennent les accords contractuels, le marché spot et l’entreposage frigorifique.

 La troisième phase a consisté à interpréter les résultats obtenus de l’analyse économétrique et à formuler les conclusions et implications.

Figure 1. Déterminants des prix des pommes

Principaux constats dégagés

Les résultats du modèle économétrique considéré sont reportés dans le tableau 1. Toutes les variables socioéconomiques (première catégorie) retenues ont manifesté des effets attendus significatifs aux seuils considérés. En effet, l’expérience des producteurs, évaluée à travers le nombre d’années de pratique de la pomoculture, a manifesté un impact positif sur les prix de vente des pommes. Les producteurs plus instruits arrivent également à commercialiser leurs pommes à des prix plus élevés que leurs homologues moins instruits. Les grandes exploitations, disposant de plus de trois ha, bénéficient d’une prime estimée à près de 0,130 dh/kg comparativement aux petites exploitations. Les niveaux de rendements ont manifesté une tendance similaire à celle de la superficie exploitée.

Tableau 1. Modèle hédoniste d’explication du prix de la pomme (semi-logarithmique)

Pour ce qui est des attributs des pommes (deuxième catégorie), les résultats ont révélé une différence significative entre les prix de vente des pommes selon les variétés utilisées ainsi que le calibre du fruit. Les prix de la variété Golden dépassent en moyenne d’environ 16,4% ceux des autres cultivars. Ce constat suggère que cette variété est particulièrement prisée des consommateurs, ce qui se traduit par une plus grande valeur perçue. Les pommes présentant un grand diamètre (75-85 mm) affichent systématiquement des prix plus élevés, avec une prime de 19,2% par rapport aux plus petits fruits (60-75 mm). L’origine de production joue aussi un rôle dans la détermination des prix. Les pommes de Midelt bénéficient d’une prime supplémentaire par rapport à celles issues des autres communes, Rich et Imilchil. 

Quant aux variables de la dernière catégorie, elles ont exprimé des effets significatifs dans la détermination des prix payés aux pomiculteurs. D’une part, les délais de paiements ont enregistré un effet négatif stipulant ainsi que les producteurs optant pour un paiement rapide tendent à livrer leurs produits à des prix moins élevés, tandis que ceux acceptant des retards de paiement (échelonnement) obtiennent généralement des prix plus élevés. En outre, la saisonnalité des ventes affecte également les prix. Les récoltes précoces bénéficient de prix plus avantageux comparativement aux récoltes tardives. Le recourt à l’entreposage frigorifique se traduit généralement par des prix plus élevés. Enfin, en ce qui concerne les modes de coordination, les résultats ont suggéré que les prix payés aux agrégés dépassent ceux réalisés par les producteurs non agrégés optant pour le marché au comptant (spot) dont les producteurs de pommes vendent leurs fruits directement aux acheteurs, et la transaction est conclue immédiatement . Cette différence a été évaluée à 17,3% de plus pour les transactions réalisées dans le cadre du projet d’agrégation.  

Conclusion et implications

Cette étude montre qu’il est possible de mieux comprendre les déterminants des prix des pommes à partir d’une fonction de prix hédoniste. Il ressort de cette analyse que la coordination verticale et les attributs spécifiques des produits jouent un rôle crucial dans la formation des prix. Les facteurs tels que l’expérience, l’instruction des producteurs, la taille des exploitations, le rendement, les variétés de pommes et les conditions de stockage influencent significativement les prix de vente.

Les implications de la présente étude sont multiples et dépassent le cadre de la simple analyse des prix des pommes. Bien que l’étude se soit intéressée uniquement à ce produit, elle a permis de produire des indicateurs pertinents susceptibles d’être appliqués à d’autres produits agricoles. Les résultats soulignent l’importance d’investir dans la formation des producteurs pour améliorer leurs compétences et leur efficacité. De plus, le développement d’infrastructures de stockage frigorifique collectif est essentiel pour maintenir la qualité des produits agricoles, prolonger leur durée de conservation et réduire les pertes post-récolte, ce qui soutient efficacement la commercialisation directe. Encourager la transition vers des systèmes de coordination verticale, comme l’agrégation agricole, créerait des opportunités pour les petits exploitants et renforcerait la régulation des chaînes de valeur. Cela renforcerait la position de négociation des producteurs et leur permettrait d’obtenir des prix plus avantageux, contribuant ainsi à une plus grande stabilité économique et à une meilleure valorisation des produits agricoles sur le marché.

Références

Terra, S. (2005). Guide de bonnes pratiques pour la mise en œuvre de la méthode des prix hédoniques. Document de travail 05-M01, Série Méthode.

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