COMPORTEMENT ET PERFORMANCES DES MUTANTS DE SESAME DANS DES CONDITIONS DE SECHERESSE

Par : Abdelghani Nabloussi, Mohamed Kouighat et Mohamed El Fechtali (UR-Amélioration de Plantes et Conservation de Ressources Phyto-Génétiques, INRA CRRA de Meknès).

Dr Abdelghani Nabloussi
Amélioration génétique des oléagineux annuels
INRA CRRA Meknès

La réaction des plantes aux stress abiotiques, comme la sécheresse, est influencée par différents facteurs tels que l’environnement, le génotype, le stade de développement, la gravité et la durée du stress. La résistance ou tolérance à la sécheresse des cultures est un trait complexe influencé par de multiples mécanismes agissant souvent de manière synergique. L’évaluation de la résistance à la sécheresse des cultures implique la prise en compte des caractéristiques morphologiques, physiochimiques, anatomiques et moléculaires. L’utilisation conjointe de ces traits pourrait faciliter la sélection de génotypes tolérants à la sécheresse. Par ailleurs, plusieurs indices basés sur le rendement en graines ont été proposés pour évaluer et sélectionner des génotypes tolérants à la sécheresse dans des conditions de stress. De plus, la compréhension des différents mécanismes pour résister à la sécheresse permet de guider les voies de sélection variétale, comprenant des adaptations morphologiques, physiologiques et anatomiques identifiées comme des facteurs importants pour la tolérance à la sécheresse.

Le sésame (Sesamum indicum L.) est une ancienne plante oléagineuse largement cultivée dans les régions arides et semi-arides. Ses graines sont riches en huile (> 50%), en protéines (> 20%), en glucides (> 20%), en fibres digestibles (> 9%) et en antioxydants naturels. Malgré sa tolérance relativement plus élevée au manque d’eau par rapport à d’autres cultures oléagineuses, la productivité et la qualité des graines de sésame restent négativement impactées par des niveaux élevés de stress dus à la sécheresse. Compte tenu du contexte actuel de changement climatique et du fait que le sésame est cultivé en tant que culture en dérobé (en été), il devient impératif d’améliorer la résilience de la plante du sésame face à la sécheresse. Pour relever ce défi, un programme de sélection par mutagenèse a été récemment lancé par l’INRA-Centre Régional de Meknès. Les résultats de travaux antérieurs ont montré la présence de sources génétiques tolérantes à un stress hydrique sévère dans la population mutante, dans des conditions contrôlées (Kouighat et al., 2021, 2023a). Cependant, toutes ces lignées mutantes doivent être évaluées sur le terrain pour confirmer leur stabilité et leur tolérance à la sécheresse et déterminer les mécanismes impliqués dans cette tolérance. Par conséquent, cette étude vise à (1) évaluer les performances et le comportement de 11 mutants, de la génération M4, depuis les stades végétatifs jusqu’à la maturité, sous des conditions de stress hydrique en plein champ dans deux environnements différents, et (2) explorer et comprendre les mécanismes de tolérance à la sécheresse dans des conditions contrôlées (sous serre).

Méthodologie

Dans ce travail, deux expérimentations distinctes ont été menées. La première réalisée au champ selon un dispositif en blocs aléatoires complets, avec trois répétitions, dans deux environnements contrastés, la station expérimentale d’Afeurer et la station expérimentale d’Aïn Taoujdate (Kouighat et al., 2023b). Onze lignées mutantes de sesame (M4), dont certaines présentant des traits bénéfiques et intéressants, tels que la tolérance à la sécheresse pendant la phase de germination en conditions in vitro, et à la phase de floraison en conditions de pots, ont été sélectionnées pour cette étude. Le stress hydrique a été appliqué depuis la phase végétative jusqu’à la maturité physiologique des plantes, avec deux régimes hydriques considérés : l’irrigation totale et l’irrigation déficitaire à 50%. Les principaux paramètres étudiés ont été la hauteur de la plante, le nombre de capsules par plante, le rendement en grains, la teneur relative en eau dans la feuille, la résistance stomatique, la teneur en chlorophylle et la teneur en proline. De même, des indices de stress tels que la productivité géométrique moyenne (GMP), l’indice de susceptibilité au stress (SSI), l’indice de tolérance au stress (STI) et l’indice de stabilité du rendement (YSI) ont été utilisés.

Pour la deuxième expérimentation réalisée en conditions contrôlées sous serre, le matériel végétal étudié était composé d’un cultivar local et de trois mutants M5, choisis parmi la population étudiée dans la première expérimentation en fonction de leur sensibilité/tolérance à la sécheresse (Kouighat et al. 2023c). Comparativement au cultivar marocain ‘ML13’, la lignée mutante ‘US2-1’ a montré une plus grande sensibilité au stress de la sécheresse, tandis que les lignées mutantes ‘ML2-37’ et ‘ML2-72’ ont démontré une meilleure tolérance à la sécheresse pendant la germination et la phase plante adulte. L’essai a été conduit selon un dispositif en blocs aléatoires complets, avec trois répétitions. Le stress dû à la sécheresse a été appliqué pendant les phases de pleine floraison et de fructification, avec trois traitements d’eau différents : témoin, stress modéré et stress sévère. Les niveaux de stress adoptés ont été définis en fonction des différentes teneurs en eau du sol par rapport à la capacité au champ. Les principaux traits évalués ont porté sur le nombre de feuilles tombées avant maturité, le rendement en graines par plante, la densité stomatique, la densité des trichomes glandulaires, l’efficience d’utilisation de l’eau, la conductance stomatique, l’indice de chlorophylle des feuilles, la teneur en proline, la teneur en glycine bétaïne et la teneur en cire cuticulaire. De plus, des segments de racines secondaires ont été collectés et examinés pour des caractéristiques anatomiques.

Principaux résultats

Figure 1. Rendement moyen en graines des génotypes de sésame dans des conditions non stressantes (FI) et stressantes (RI). Les groupes homogènes sont indiqués par les mêmes lettres sur les barres de l’histogramme, selon le test de Duncan pour chaque régime d’irrigation.

Dans les conditions de champ, et sur les deux environnements d’étude, le rendement en graines a diminué de manière significative dans tous les génotypes suite à une exposition au stress hydrique (Figure 1). Le mutant ‘ML2-72’ a connu la réduction la plus faible (32%), suivi de ‘ML2-37’ (38%), ce qui indique leur meilleure performance et stabilité relative dans des conditions de sécheresse, par rapport aux autres génotypes. A l’opposé, les mutants ‘US1-2’, ‘US06’ et ‘US2-1’ ont montré la plus grande réduction du rendement en graines dans des conditions de stress (> 70%), soulignant des performances limitées en présence de stress hydrique et une instabilité marquée face aux conditions d’eau contrastées. Sur la base de tous les indices de stress (Tableau 1), nos résultats montrent que les génotypes ‘US2-7’ et ‘ML2-68’ ont présenté les valeurs de GMP et STI les plus élevées, ce qui les rend particulièrement prometteurs pour des conditions d’eau contrastées. 

Tableau 1. Comparaison de génotypes de sésame évalués dans deux environnements différents pour le rendement en graines par plante sous condition optimales (Yp) et stress (Ys) et différents indices de stress.

En revanche, les génotypes ‘ML2-5’ et ‘ML13’ enregistrent les valeurs de GMP et STI les plus basses, ce qui les rend moins favorables dans de telles conditions. D’autres études ont suggéré que l’indice de stabilité du rendement (YSI) serait le plus approprié pour évaluer la stabilité génotypique dans des conditions stressantes et non stressantes. Selon notre étude, les valeurs de YSI les plus élevées ont été détectées dans ‘ML2-37’ et ‘ML2-72’, tandis que les valeurs les plus basses ont été enregistrées dans ‘US1-2’, ce qui suggère la plus grande tolérance des premiers et la plus haute sensibilité du dernier au déficit hydrique. Ces résultats indiquent que différents indices de stress dû à la sécheresse permettent un classement distinct, voire contradictoire, des génotypes selon leur niveau de tolérance/sensibilité à ce stress. Par conséquent, tous ces indices doivent être utilisés ensemble pour fournir un classement plus fiable.

Figure 2. Coupes transversales de racines de plantes sous différents régimes hydriques et determination du nombre (A) et diamètre (B) des vaisseaux du xylème. Les génotypes ayant les mêmes exposants alphabétiques, pour chaque niveau de sécheresse, ne sont pas significativement différents selon le test de Duncan (p ≤ 0,05).

À la lumière de tous les traits/indices étudiés dans les conditions réelles, le mutant ‘US1-2’ s’est révélé très sensible à la sécheresse, bien qu’il ait montré de meilleurs résultats dans des conditions d’irrigation complète. En revanche, les lignées mutantes ‘ML2-37’ et ‘ML2-72’ présentent un gain génétique remarquable de 20% en rendement en graines par rapport au cultivar marocain (ML13) dans des conditions d’irrigation restreintes. Cette tolérance à la sécheresse peut s’expliquer par certaines réponses agromorphologiques, physiologiques, biocochimiques et anatomiques au déficit hydrique. En effet, ‘ML2-37’ et ‘ML2-72′ ont montré la plus faible résistance stomatique sous stress. Une efficience élevée d’utilisation de l’eau, une conductance stomatique élevée, une densité élevée de trichomes glandulaires, un faible nombre de gros vaisseaux du xylème (Figure 2), une teneur élevée en chlorophylle et une accumulation osmoprotectrice accrue (avec une teneur élevée en proline et en glycine betaine), ont été identifiés comme des indices de sélection pertinents pour améliorer la tolérance à la sécheresse chez le sésame. Ces résultats sont d’une importance cruciale dans le contexte du changement climatique, non seulement pour assurer la sécurité alimentaire mais aussi pour préserver les précieuses ressources en eau, notamment dans les régions arides, ce qui constitue une solution pertinente et durable pour l’ agriculture du futur.

Références

Kouighat, M., Channaoui, S., Labhilili, M., El Fechtali, M., & Nabloussi, A. (2020). Novel genetic variability in sesame induced via ethyl methane sulfonate. Journal of Crop Improvement35(5), 654-665.

Kouighat, M., Hanine, H., El Fechtali, M., & Nabloussi, A. (2021). First report of sesame mutants tolerant to severe drought stress during germination and early seedling growth stages. Plants10(6), 1166.

Kouighat, M., Hanine, H., El Fechtali, M., & Nabloussi, A. (2023a). Assessment of some sesame mutants under normal and water-stress conditions. Journal of Crop Improvement37(3), 361-377.

Kouighat, M., Nabloussi, A., Kettani, R., Fakhour, S., El Fechtali, M., & Hamdani, A. (2023b). Drought-tolerant sesame mutant lines assessed by physiological traits and stress indices under water deficit conditions. Journal of Agriculture and Food Research14, 100842.

Kouighat, M., Kettani, R., El Fechtali, M., & Nabloussi, A. (2023c). Exploring mechanisms of drought-tolerance and adaptation of selected sesame mutant lines. Journal of Agriculture and Food Research, 100911.

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