
Dr Rachid Razouk, Chercheur en agrophysiologie des arbres fruitiers et de l’olivier (URAPV – CRRA Meknès)
Plusieurs études menées en Amérique du Nord et en Europe ont démontré les avantages de l’agroforesterie intra-parcellaire à base d’arbres et de cultures annuelles, aussi bien pour faire face aux changements climatiques que pour l’augmentation et la diversification des revenus des agriculteurs [1]. Au Maroc, le système de cultures intercalaires basé sur l’association d’olivier et des cultures annuelles constitue le type d’agroforesterie le plus répandu et qui remonte à l’antiquité, à la fois dans les oliveraies pluviales et irriguées. Des diagnostics menés au nord du Maroc ont révélé qu’environ 75% des oliveraies sont associées à des cultures annuelles, dont principalement les blés, l’orge, des légumineuses alimentaires (fève, féverole, pois chiche, petit pois et lentille) et des plantes aromatiques et médicinales (coriandre, fenugrec), ainsi que des cultures maraîchères dans les oliveraies irriguées, en particulier la pomme de terre et l’oignon [2]. Dans ce système, les cultures annuelles et les oliviers partagent la même parcelle pendant 15 à 20 ans jusqu’à ce que l’ombrage des arbres inhibe la croissance des cultures annuelles. Dans certaines situations, où les distances entre les rangées d’olivier sont importantes, l’ombrage des arbres n’est pas un facteur limitant, faisant que la culture intercalaire soit maintenue pendant toute la durée de vie de l’oliveraie.
Malgré l’ancienneté de ce système au Maroc, il n’existe pas de recherches approfondies sous les conditions locales permettant d’évaluer les pratiques actuelles et d’identifier les meilleures options de gestion des cultures annuelles en intercalaire, ainsi que leurs avantages ou inconvénients potentiels sur la strate arborée et vice-versa, bien que son adoption par les agriculteurs soit une preuve de ses performances. La présente étude, réalisée dans les régions de Taounate et Ouazzane, a visé la détermination de l’occupation spatiale optimale des cultures intercalaires dans les oliveraies pluviales, jeunes et adultes, pour une bonne croissance et production du système. Elle a visé, également, une analyse de l’occupation temporelle des oliveraies pluviales par les cultures intercalaires, les plus adoptées, en vue de mieux cerner les interactions existantes dans ce type d’agroforesterie. Une telle analyse est en mesure de développer des réflexions quant à l’atténuation des effets de compétition entre les deux strates du système.
METHODOLOGIE
Analyse de l’occupation temporelle des interlignes d’olivier par des cultures intercalaires
L’analyse de l’occupation temporelle des oliveraies pluviales par les cultures intercalaires dans les zones de Taounate et Ouazzane s’est basée sur la juxtaposition de leurs périodes de pleine croissance avec les courbes de croissance des pousses de l’année et des fruits de l’olivier (Figure 1). Les systèmes analysés ont concerné les cultures intercalaires d’hiver et de printemps les plus adoptées dans la zone d’étude à savoir les blés, l’orge, la fève, la lentille, le pois chiche de printemps, le petit pois et la coriandre grains.

Figure 1. Juxtaposition entre les périodes critiques de croissance des cultures intercalaires et la croissance du fruit et de la pousse d’olivier (cv. Picholine marocaine) sous les conditions pluviales.
Essais d’occupation spatiale des oliveraies, adultes et jeunes, par des cultures intercalaires
Les essais ont été menés dans quatre oliveraies pluviales adultes âgées de plus de 30 ans et quatre autres jeunes âgées de 3 ans (cv. Picholine marocaine), plantées en légère pente (environ 20%) à des écartements de 10 × 10 m (100 arbres/ha). Dans chaque verger expérimental, ont été cultivés en intercalaire le blé tendre (Triticum aestivum) et la fève (Vicia faba). Le dispositif expérimental a été établi non seulement pour optimiser l’occupation spatiale du sol pour l’association olivier – cultures annuelles, mais aussi pour démontrer les avantages des impluviums autour des oliviers dans ce système. Ainsi, un dispositif complètement aléatoire (DCA) avec 3 répétitions a été adopté dans chaque verger expérimental. En oliveraies adultes : semis des cultures intercalaires jusqu’à sous frondaisons des arbres (T0), semis des cultures intercalaires à partir de la limite de la frondaison des arbres (T1), semis des cultures intercalaires à partir de la limite de la frondaison des arbres, avec confection d’impluviums autours des arbres (T2) ; en jeunes oliveraies : semis des cultures intercalaires jusqu’à sous frondaisons des arbres (T0), semis des cultures intercalaires à 1 m de la frondaison des arbres (T1), semis des cultures intercalaires à 1 m de la frondaison des arbres, avec confection d’impluviums autours des arbres (T2). Notons que les associations testées ont été conduites selon les pratiques habituelles des agriculteurs, qui concernent exclusivement les cultures intercalaires. La pluviométrie annuelle était de 616 mm, concentrée sur les mois de septembre à décembre. Notons que la période de juin à aout était sèche.
RESULTATS ET DISCUSSION
Analyse de l’occupation temporelle des interlignes d’olivier par des cultures intercalaires
Les céréales (blé tendre, blé dur, orge) et les légumineuses (fève, pois chiche, lentille) sont les principales cultures d’hiver pratiquées en intercalaire dans les oliveraies pluviales au niveau de la région d’étude. Ces cultures occupent les interlignes des oliveraies jusqu’à mai – juin, mais présentent différentes périodes critiques de croissance. Les périodes critiques de croissance présentées dans la figure 1 montrent l’inexistence de chevauchement entre la croissance active de l’olivier et celles des cultures d’hiver en intercalaire. Pour ces dernières, les périodes critiques se situent durant la phase du repos végétatif de l’olivier montrant que l’effet qu’elles peuvent exercer sur la croissance de l’olivier réside essentiellement dans leur compétition vis-à-vis des réserves hydriques du sol, indispensable à l’olivier pour la croissance de ses bourgeons végétatifs et floraux à partir du mois de mai [3]. Cette compétition est plus forte pour les céréales et la lentille puisque leurs périodes critiques de croissance s’étalent jusqu’au mois d’avril, diminuant ainsi les réserves hydriques du sol constituées juste avant le démarrage de l’olivier. Cependant, l’interaction entre l’olivier et la fève pour les réserves hydriques du sol sont relativement moindres vu l’éloignement observé entre leurs périodes critiques de croissance. Il s’avère donc de ces observations que le mois d’avril est la période pendant laquelle l’interaction entre les cultures d’hiver et les oliviers est importante. Pendant ce mois, le blé et la lentille exercent une compétition vis-à-vis de la croissance de l’olivier en puisant les réserves du sol indispensables pour le remplissage des graines. Toutefois, il est à signaler que cet effet de compétition peut être atténué, voire annulé, par une pluviométrie suffisante pour la croissance des deux espèces associées, survenant vers fin avril – début mai.
Concernant les cultures de printemps en intercalaire avec l’olivier, le pois chiche, le petit pois et la coriandre sont principalement les plus pratiquées dans la région d’étude. Bien que ces cultures soient installées au printemps, elles présentent des périodes critiques de croissance situées en période de repos végétatif de l’olivier (Figure 1). Cependant, elles se montrent très compétitives vis-à-vis des réserves hydriques constituées du sol en mois d’avril, indispensables pour le démarrage de la croissance de l’olivier en mois de mai. Donc, tout comme pour les cultures d’hiver, le mois d’avril constitue la période critique pendant laquelle l’interaction entre les cultures de printemps et l’olivier est très considérable. En jeune oliveraie, l’affaiblissement de la réserve hydrique du sol implique une croissance faible des pousses végétatives de l’année. Alors qu’en oliveraie adulte, son effet serait plus marqué sur la différenciation florale.
Comportement de l’olivier en association avec le blé tendre
Au niveau des oliveraies adultes, le blé tendre en intercalaire a induit une réduction significative du rendement en olives, notamment lorsqu’il était cultivé jusqu’à sous les frondaisons. À cette distance de semis, le blé a entraîné une réduction du rendement en olives de 30%, en moyenne, par rapport à l’olivier en monoculture (Tableau 1). Le niveau de rendement de l’olivier est resté négativement affecté par la culture du blé, même semée depuis la limite de la frondaison, et même avec la mise en place d’impluviums. Toutefois, à cette distance de semis, l’effet dépressif exercé par le blé sur le rendement en olives a été considérablement atténué, de 60% en moyenne, par rapport au traitement T0. L’effet de la culture du blé en intercalaire sur la croissance de l’olivier adulte s’est traduite par la réduction du nombre des pousses sous l’ensemble des traitements testés par rapport aux oliviers cultivés en monoculture. La longueur des pousses et la surface foliaire de l’olivier ont été également affectées négativement par la culture du blé en intercalaire. Avec la culture du blé sous la frondaison, les réductions pour ces deux paramètres ont été respectivement de 40 et 28% par rapport à l’olivier conduit en monoculture. Cette compétition reste importante même lorsque le blé était cultivé depuis la limite des frondaisons (traitement T1), ce qui a entrainé une réduction de la longueur des pousses d’olivier et de sa surface foliaire de 20% en moyenne. Ce résultat indique que le système racinaire de l’olivier adulte couvre une surface du sol dépassant la limite de la frondaison, ce qui l’expose partiellement à la concurrence exercée par le blé vis-à-vis des réserves du sol. Cependant, le placement des impluviums autour de l’olivier à cette limite (traitement T2) atténuait de 50% en moyenne l’effet concurrentiel exercé par le blé. L’effet favorable des impluviums n’est pas lié à une atténuation de l’interaction entre le blé et l’olivier mais plutôt à une amélioration des réserves hydriques du sol. Sur jeunes oliviers, les effets négatifs du blé, cultivé en intercalaire jusqu’à proximité des troncs des arbres (traitement T0), se sont exprimés par un dénudement partiel des rameaux, notamment dans leurs parties basales, avec une réduction de la croissance des pousses et de la surface foliaire, de 30% en moyenne, comparativement à des jeunes oliveraies sans cultures intercalaires. Le dénudement des rameaux des jeunes oliviers est lié en grande partie à l’effet de l’ombrage qu’exerce la culture du blé sur la partie basale des jeunes plants. En effet, à maturité du blé, coïncidant avec la croissance active des pousses de l’olivier (juin), la hauteur des blés représente souvent plus de 50 % des jeunes plants d’olivier. Toutefois, les effets négatifs du blé sur la croissance des plants d’olivier n’ont pas été signifiants sous les traitements T1 et T2, où il a été cultivé à 1 m du tronc. Ceci montre qu’à cette distance, les interactions de compétition entre les deux cultures sont très faibles. L’effet de l’impluvium s’est montré aussi non significatif et ce en raison, fort probablement, de la sècheresse qui est survenue pendant la croissance active des plants d’olivier (avril – septembre).
Les effets dépressifs induits par le blé sur le niveau de rendement et la croissance végétative de l’olivier sont principalement dus à la compétition pour les réserves hydriques et nutritives du sol en période de dormance de l’olivier, notamment pour les réserves du sol constituées en mois d’avril et de mai pendant lesquels se produisent les phases de remplissage et de maturation des grains du blé. Ces réserves sont utiles pour le débourrement et la fructification de l’olivier en mois de mai et aussi pour le démarrage de la croissance de ses pousses à partir du mois de juin.
Comportement de l’olivier en association avec la fève
Contrairement au blé tendre, la fève en intercalaire dans des oliveraies adultes a entraîné une amélioration significative du rendement et de la croissance végétative des oliviers, particulièrement lorsqu’elle a été cultivée jusqu’à sous les frondaisons des arbres (traitement T0). Sous ce traitement, la fève a induit une augmentation du rendement en olives de 40% en moyenne par rapport à l’olivier en monoculture. La croissance des pousses et la surface foliaire se sont améliorées respectivement de 30% et 22%. Ces effets favorables de la fève sont restés significatifs avec un semis depuis la limite de la frondaison des arbres (traitement T1), mais de manière atténuée (Tableau 1). Au niveau des jeunes oliveraies, les mêmes effets ont été relevés. Ces effets favorables de la fève en intercalaire avec l’olivier sont dus au fait que cette culture a été récoltée un mois avant le débourrement de l’olivier (Début avril), limitant ainsi la concurrence pour les réserves hydriques du sol pendant la période de fructification de l’olivier. De plus, la fève est connue pour son enrichissement du sol en azote par fixation biologique, assurant ainsi une bonne croissance des fruits et des pousses de l’olivier.
Comportement des cultures intercalaires : blé tendre et fève
Les jeunes oliviers n’ont exercé aucun effet dépressif sur les cultures intercalaires testées. En effet, le rendement des cultures intercalaires et ses composantes, mesurés à différentes distances du tronc ont été similaires. Ceci serait lié à la faiblesse de l’ombrage des jeunes plants d’olivier. En outre, la compétition exercée par l’olivier vis-à-vis de l’eau et des éléments nutritifs est très faible du fait que la croissance active des cultures intercalaires testées se situe en grande partie dans la période de son repos végétatif (de novembre à mars), durant laquelle l’absorption hydrominérale de l’olivier est à son plus faible niveau. Cependant, au niveau des oliveraies adultes, il a été relevé que le niveau de production du blé et de la fève est quasi-nulle sous les frondaisons des arbres. A partir des limites de la frondaison, ces cultures développent une biomasse relativement faible sous l’effet de l’ombrage des arbres, constituant une auréole dont le rayon maximal se situe du côté Nord-Est (Figure 2). Le rayon de cette auréole (R) varie en fonction du volume de la frondaison qui combine la hauteur et le diamètre de l’arbre. L’estimation de ce rayon (R) peut se faire via une régression linéaire entre la hauteur de l’arbre et la limite de disparition de l’effet dépressif sur la biomasse des cultures intercalaires. Il est à noter que sa valeur moyenne était de 3 m au niveau des quatre vergers expérimentaux. Tenant compte de cette donnée et de l’effet schématisé dans la figure 2, il s’avère que pour une bonne production du blé en culture intercalaire dans des oliveraies adultes pluviales, quatre cas de figure se distinguent. En effet, dans les allées orientées Nord-Sud, le semis de blé doit être fait à une distance de 2 m environ des frondaisons du coté Est et à la limite des frondaisons du côté Ouest. Dans les allées orientées Est-Ouest, le semis du blé doit être fait à une distance de 2 m environ des frondaisons du côté Nord et à la limite des frondaisons du côté Sud. Dans les allées orientées Nord-Est / Sud-Ouest, le semis du blé peut être fait dès la limite de la frondaison des deux côtés de la ligne. Dans les allées orientées Nord-Ouest / Sud-Est, le semis du blé doit être fait à une distance de 3 m des frondaisons, des deux côtés de l’allée.

Figure 2. Schéma présentant les limites de l’effet dépressif de l’olivier sur la croissance du blé et fève en culture intercalaire en fonction de la vigueur des arbres
CONCLUSION
En tant que pratique prometteuse pour l’adaptation aux changements climatiques à travers l’amélioration de la valorisation des terres, les systèmes de cultures intercalaires « olivier-cultures annuelles » sont particulièrement importants pour les petits agriculteurs. Une gestion efficiente de ce système nécessite un raisonnement de l’occupation temporelle et spatiale des inter-rangs des oliviers en fonction des espèces intercalaires, l’exposition de l’oliveraie et la vigueur des arbres. Parmi les cultures intercalaires pratiquées dans les oliveraies du nord, la fève constitue la culture « idéale » à recommander en association avec l’olivier sans craindre de compétition importante pour les réserves hydrominérales du sol. Cette culture remplie ses périodes critiques de croissance en mois de mars, soit un mois avant le démarrage de l’olivier, laissant les réserves hydriques constituées en mois d’avril en faveur de ce dernier. Cependant, les autres cultures d’hiver et de printemps (blé, orge, lentille, pois chiche et coriandre), bien que leurs périodes critiques de croissance ne chevauchent pas avec la croissance active des fruits et des pousses de l’olivier, elles exercent une compétition importante vis-à-vis des réserves hydriques du sol en mois d’avril, indispensables pour un bon démarrage de croissance de l’olivier à partir du mois de mai. L’occupation spatiale des inter-rangs des oliviers est considérée comme optimale lorsqu’elle assure des performances satisfaisantes des deux strates associées. La distance optimale de semis des cultures intercalaires correspond à la limite où l’effet de l’ombrage devient insignifiant, qui est corrélée à la hauteur des arbres selon un modèle de régression linéaire (distance de semis = 0.421 x hauteur des arbres). Dans les zones ombragées autour des arbres, la fève n’affecte pas la croissance ni le rendement de l’olivier, mais son niveau de rendement est affaibli en produisant de petites graines dont l’utilisation serait limitée à l’alimentation animale. En association avec des arbres d’une hauteur de 7 m, l’olivier affecte significativement la croissance et le rendement du blé sur une distance de 3 m de la frondaison du côté Nord-Est. Cultiver le blé à cette zone d’interaction entraine une réduction considérable de la croissance et du rendement des deux cultures.
REFERENCES
- Dupraz C, Liagre F. 2008. Agroforesterie : des arbres et des cultures, 1st Edition, France Agricole, Paris.
- Daoui K, Fatemi ZE. 2014. Agroforestry systems in Morocco: The case of olive tree and annual crops association in Sais region, in: M.Behnassi, S.A.Shahid, N.Mintz, 1st Edition, Science, policy and politics of modern agricultural system: global extent to local dynamics of sustainable agriculture. Springer, New York, 281-289.
- Razouk R, Daoui K, Ramdani A, Chegaoui A. 2016. Optimal distance between olive trees and annual crops in rainfed intercropping system in northern Morocco. Journal of Crop Science Research, 1(1): 23-32.
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* : Texte emprunté à l’ouvrage « Agriculture résiliente dans un contexte de changement climatique : Actes de séminaire » (INRA – CRRA Meknès, 2020).