Le secteur oléicole au Maroc est l’un des principaux secteurs stratégiques de l’économie en général et de l’agriculture en particulier ; il représente plus de 65% de la superficie arboricole nationale, soit 11% de la SAU grâce notamment aux projets de reconversion du Plan Maroc Vert. La culture d’olivier s’étend sur tout le territoire national en raison de ses capacités d’adaptation à tous les étages bioclimatiques. Actuellement, le Maroc est le deuxième producteur mondial d’olive de conserve et le sixième producteur mondial d’huile d’olive derrière l’Union européenne, la Tunisie et la Turquie (Barguigua et al., 2020). En moyenne, chaque année le Maroc produit environ 160 000 tonnes d’huile d’olive et 90 000 tonnes d’olives de table (MAPM, 2018). Les exportations connaissent un accroissement notable pour l’olive de table et démarrent fortement pour l’huile d’olive sur des marchés de proximité (Europe, la Tunisie, etc.), ainsi avec d’autres partenaires du Royaume sur de nombreuses régions du Monde (USA, Russie, Pays du Golfe, Pays d’Afrique, etc.). En effet, le Maroc exporte 17.000 tonnes de l’huile d’olive et 64.000 tonnes d’olives de table vers les marchés internationaux (MAPM, 2018). Ce secteur assure une activité agricole intense permettant de générer plus de 15 millions de journées de travail/an.
Cependant, les problèmes phytosanitaires de l’olivier constituent l’une des contraintes majeures de développement du secteur oléicole marocain. En effet, cette culture est connue par sa sensibilité aux divers stress abiotiques et biotiques, en particulier les attaques causées par des microorganismes (bactéries, champignons) et certains ravageurs. Parmi les principaux champignons impliqués dans l’atteinte d’oliviers marocains on trouve : Fusicladium oleagineum responsable de l’œil de paon (Rongai et al., 2012), Verticillium dahliae l’agent causal de la verticillose (COI, 2007), Fumago salicina et Capnodium oleaginum impliqués dans l’apparition de la fumagine (APP, 2010). Pour les maladies bactériennes, Pseudomonas savastanoi pv savastanoi a été identifiée comme responsable de la tuberculose de l’olivier caractérisée par la présence des tubercules sur les branches et les tiges (Achbani et al., 2013; Chliyeh et al., 2017). En ce qui concerne les ravageurs d’olivier marocain, les plus nuisibles sont : la teigne de l’olivier (Prays oleae); la mouche de l’olivier (Bactrocera olea); le psylle de l’olivier (Euphyllura olivina) et la cochenille noire (Saissetia oleae) (APP, 2010; Chliyeh et al., 2017).
La tavelure de l’olivier, appelée encore l’œil de Paon est une maladie causée par le champignon imparfait Fusicladium oleagineum, anciennement appelé Cycloconium oleaginum ou Spilocaea oleagina, et classée parmi les maladies fongiques foliaires les plus redoutables qui peuvent inquiéter les agriculteurs.
Ce champignon est une espèce fongique très peu étudiée aussi bien au niveau national qu’au niveau international malgré sa proximité génétique au champignon causant la maladie de la tavelure du pommier (Schuber et al., 2003). Cette maladie est très répandue dans la région méditerranéenne et dans les zones de culture d’olivier entrainant des pertes de rendement qui peuvent aller jusqu’à 20 % (Viruega et al., 2011 ; Rongai et al., 2012). A l’échelle national, la maladie se trouve dans toutes les régions oléicoles causant des dégâts importants (Rhimini et al., 2014). Néanmoins, peu de recherches épidémiologiques approfondies ont été entreprises sur cette maladie dans notre pays, alors que les résultats des études étrangères ne sauraient s’appliquer intégralement au contexte marocain en raison de la diversité variétale, des conditions pédoclimatiques et des conduites techniques adoptées.
Symptômes et dégâts

Photo 1 : Symptômes de l’œil de paon de l’olivier causé par Fusicladium oleagineum sur les feuilles des arbres échantillonnés dans un verger à Ras jerry Meknès.

Photo 1

Photo 1
L’œil de paon est considéré comme une maladie foliaire puisqu’il attaque principalement les feuilles de l’arbre. L’agent pathogène se développe au niveau de la partie cutanée la feuille ce qui se traduit par des lésions circulaires entourées de halos jaunes de 3 à 10 mm de diamètre sur la face supérieure des feuilles, donnant un aspect comparable aux ocelles des plumes de paon, d’où le nom « d’Œil de paon » donné à la maladie (Alsalimiya et al.,2010) (Photos 1, 2 et 3). Les taches présentent une couleur qui varie du gris au brunâtre ou marron foncé allant jusqu’au jaune-orangé. A la présence des conditions propices, la tache couvre d’un duvet brunâtre épais constitué par les éléments de fructification : conidiophores et conidies (Renaud, 1968). Les feuilles affectées

Photo 2 : Défoliation de l’arbre due à la tavelure dans un verger à Ras jerry Meknès
deviennent partiellement chlorotiques, puis nécrotiques et tombent prématurément. Une infection sévère entraîne une défoliation complète de l’arbre (Photo 2) et lorsqu’elle est récurrente, elle provoque une réduction de la croissance, un dépérissement des branches dénudées, un affaiblissement général de l’arbre et une diminution importante de la production : capacité faible de photosynthèse, pousse végétative limitée, taux de nouaison faible, et par conséquent une réduction remarquable du rendement, de la qualité et de la quantité de l’huile.
Les attaques sur le fruit et le pédoncule sont généralement rares. En cas d’attaque, un desséchement et une dépigmentation circulaire de l’épiderme sont observés. Les olives sèchent, se rident et chutent prématurément, d’où une perte directe de récolte.
Cycle biologique et facteurs de développement de l’agent pathogène
Le champignon F. oleagineum est répertorié parmi les champignons de la classe des hyphomycètes, groupe des deutéromycètes (Schubert et al., 2003), du fait de l’absence de sa forme sexuée active dans la nature et il se développe uniquement via sa forme asexuée. Les spores issues de cette phase asexuée peuvent donner lieu à des contaminations tout au long de l’année, si les conditions sont favorables au développement de la maladie (Figure 1).

Figure 1 : Cycle biologique et développement de la maladie.
Le cycle pathologique de F. oleagineum comprend cinq à six phases principales. L’inoculum qui assure l’infection primaire provient habituellement de la sporulation des lésions sur les feuilles, qui ont hiverné ou estivé sur les arbres (Graniti, 1993).
- Phase I : l’infection qui comprend la germination des conidies et la pénétration du champignon à travers la cuticule de la feuille.
- Phase II : le développement végétatif qui consiste en la croissance des hyphes mycéliens sous la cuticule de façon intercellulaire.
- Phase III : les hyphes mycéliens font saillir à nouveau à la surface à travers la cuticule.
- Phase IV : la formation de conidiophores à la surface de la feuille
- Phase V et VI : La sporulation et l’apparition de la tache sur la face supérieure de la feuille.
Le cycle de vie de l’agent causal, F. oleagineum dépend des conditions climatiques, dont les plus déterminantes sont la température et l’humidité : température relativement peu élevée (9 à 20 C°) et humidité (brouillard, fortes rosées, pluies) donnant pour plusieurs heures un état hygrométrique de 100% (Renaud, 1968). La période d’incubation est d’environ deux semaines sous des conditions les plus favorables ; mais si l’infection est suivie d’une saison chaude et sèche, elle peut durer plusieurs semaines, voire des mois. Les feuilles qui restent sur l’arbre avec des lésions sporulantes servent d’inoculum au cycle suivant.
L’exposition de la canopée (les parties ensoleillées et non ensoleillées de l’arbre), les facteurs climatiques, caractéristiques du verger (continentalité, altitude et pente) et les pratiques culturales représentent les facteurs limitant le développement de la maladie de l’œil de paon dans les oliveraies (Rhimini et al, 2014).
Estimation du risque et stratégie de contrôle
L’œil de paon est une maladie pouvant se développer rapidement et affaiblir économiquement une exploitation. Si elle est négligée, elle peut aboutir progressivement à de sévères défoliations, qui au final auront un effet sur la photosynthèse, la croissance, et finalement le nombre de fleurs et leur nouaison.
- Les mesures prophylactiques
En effet, la lutte contre la maladie doit être prise avant la plantation. Il est recommandé de recourir aux plants des pépinières avec les garanties appropriées, afin d’assurer la qualité sanitaire de la plante. Les mesures préventives visant à éviter l’excès d’humidité dans le sol et la maîtrise d’irrigation sont aussi, des facteurs très importants.
La prophylaxie permet de limiter le développement de la maladie. Les conditions nécessaires à la contamination permettent de déduire qu’une taille organisant le feuillage pour maintenir une bonne aération doit être réalisée. Il faut aussi veiller à supprimer les branches inutiles trop basses servant de réservoir d’inoculum (Roubal, 2017).
L’utilisation des variétés résistantes est recommandée afin de limiter l’infection et/ou la colonisation de l’agent pathogène dans l’olivier. Les variétés d’olivier n’ont pas toutes la même sensibilité à l’œil de paon. La Picholine marocaine qui est le cultivar dominant au Maroc est par exemple reconnu comme très sensible à l’œil de paon.
- La protection chimique
Au-delà d’un seuil de nuisibilité de plus de 10% de feuilles tachées, un traitement s’avère indispensable ; La grande majorité des producteurs utilisent un composé cuprique, qu’il soit en conventionnel ou en agriculture biologique. D’autres matières actives (mancozèbe, krésoxim-méthyl) sont autorisées, mais pour plusieurs raisons, elles restent marginales en termes d’utilisation.
Les oléiculteurs préfèrent généralement utiliser le cuivre, traitement autorisé en agriculture biologique. Le cuivre empêche la germination des nouvelles spores qui sont dispersées pendant la pluie et protéger ainsi les feuilles contre des nouvelles contaminations en réduisant l’inoculum (Teviotdale et al. 1989). Cependant l’utilisation des produits phytosanitaires pour lutter contre les maladies des cultures présentent des impacts sur l’environnement, sur la santé et l’éruption de phénomène de résistance de certains agents pathogènes.
- La lutte biologique
Dans le cadre d’une oléiculture durable, la lutte biologique peut offrir de nombreuses méthodes alternatives naturelles en utilisant des produits d’origine biologique tels que les extraits végétaux, les huiles essentielles et les agents antagonistes.
Ces microorganismes produisent des métabolites secondaires antifongiques qui inhibent la croissance et le métabolisme des agents pathogènes. L’application des agents antagonistes dans la lutte contre les maladies présentent certains avantages par rapport aux fongicides synthétiques, notamment : l’absence de résidus toxiques, respectueuse de l’environnement, durable, efficace, facile à appliquer.
Les travaux de recherche ont été orientés dans le but de développer des agents de lutte biologique capables de réduire ou de stopper le développement du champignon F. oleagineum.
Les agents antagonistes utilisés pour lutter contre l’agent causal de l’œil de paon de l’olivier appartiennent à plusieurs groupes taxonomiques, notamment les bactéries telles que Pseudomonas sp et Bacillus sp. (Salman, 2017).
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