INTRODUCTION :
Les blés sont attaqués par de nombreuses maladies cryptogamiques dont l’importance varie d’une année à l’autre et d’une région à l’autre et qui occasionnent des pertes substantielles en rendement si les conditions sont favorables au développement de ces maladies et les variétés en sont sensibles (Ramdani, 2013). Les surveillances menées durant la décennie 90 ont révélé que les maladies les plus fréquentes aussi bien sur blé dur que sur blé tendre sont le complexe Septorioses/tache bronzée et la rouille brune, et à un degré moindre les pourritures racinaires, l’oïdium, et la rouille jaune. La rouille noire, la carie et le charbon nu ont été moins fréquents (Farih, 1994 ; Mazouz et al., 1995 ; Ramdani et Jlibene, 1996 ; et Ramdani, 1997).
Durant les dix dernières années, en plus des maladies précitées (Ramdani, 2009 ; Ramdani et al., 2014c, 1014d), on note aussi l’émergence de la rouille jaune dans toutes les régions céréalières à cause de l’apparition de nouvelles races virulentes contre les gènes majeurs en l’occurrence Yr27 (Ramdani et al., 2009, 2010, 2011a, 2011b, 2014a, 2014b, 2018). Plus récemment, la rouille noire devient de plus en plus fréquente ce qui pourrait constituer une menace pour la production du blé au Maroc. Une stratégie anticipative pour l’incorporation de la résistance à cet agent pathogène est d’une grande importance, sachant que ce champignon se transmet par le vent sur de longue distance et que les variétés marocaines sont très sensibles à sa race Ug99 dans les conditions de Njoro-Kenya (Ramdani et al., 2012).
La meilleure stratégie de lutte contre les maladies du blé est l’utilisation des variétés résistantes. Or, quand les conditions d’environnement sont favorables pour l’épanouissement des maladies, même les variétés résistantes pourraient succomber. Par ailleurs, une variété devrait avoir une résistance multiple aux maladies. A cet effet, la combinaison des deux principaux piliers de la lutte intégrée contre les maladies du blé, à savoir l’utilisation des variétés résistantes combinées avec l’utilisation des fongicides est le meilleur garant pour assurer une protection durable du blé.
La surveillance des maladies des céréales a pour but de disposer d’une base de données sur l’importance et l’évolution de chaque maladie cryptogamique dans le temps et dans l’espace, afin de pouvoir orienter les programmes de recherche sur les maladies des blés, notamment les programmes de création variétale. Une surveillance continue à l’échelle nationale permettra de dresser la carte de répartition géographique et temporelle des principales maladies et en conséquence de cibler la création variétale et/ou de recommander des variétés adaptées à une région donnée.
Or, ni l’efficacité des gènes de résistance ni celle des fongicides sont éternelles à cause des changements perpétuelles des populations des pathogènes. Pour cette raison, l’élaboration d’une stratégie de lutte durable et efficiente nécessite la combinaison des efforts des équipes pluridisciplinaires. L’aboutissement d’une telle stratégie reste tributaire de l’efficacité du système de multiplication des semences et l’adoption rapide et à grande échelle des nouvelles variétés boostée par le retrait du marché des variétés très sensibles aux maladies prévalentes en l’occurrence la rouille jaune.
L’objectif du présent travail est d’évaluer l’importance des maladies du blé à travers le Maroc pour cartographier l’importance de chacune. Cette cartographie sera un outil pour orienter les objectifs des programmes d’amélioration et pour mieux déployer les variétés disponibles sur le marché. La surveillance des maladies qui devrait être un processus continu est la base des activités de sélection en amont (pre-breeding) en relation avec la sélection pour la résistance aux maladies. Elle permet la collection d’un échantillon représentatif des populations des pathogènes dans le but des études de la diversité génétique en relation avec la virulence et pour la détection de la résistance aux fongicides en l’occurrence les strobilurines déjà détectée par Elbekali et al. (2011).
METHODE :
La surveillance des maladies des blés a été menée durant la deuxième semaine du mois de Mars 2020 où le stade végétatif des cultures variait de l’épiaison au stade pâteux, excepté dans la région du Moyen Atlas où le stade végétatif variait du fin tallage au début montaison. Les axes routiers parcourus pour réaliser le présent travail traversent les plaines de Sais, Gharb, Zemour, Zaïr, ainsi que le Moyen Atlas (Figure 1). Tout au long des axes, des arrêts ont été effectués tous les 15 à 20 Km pour prospecter les champs de blé dur et de blé tendre.
Lors des prospections, des informations géo référenciées ont été collectées en l’occurrence l’espèce hôte, la variété en cas de possibilité, la hauteur de la plante, le stade végétatif, l’estimation du rendement, le régime hydrique (irrigué ou pluvial), l’estimation de la superficie de la parcelle, et l’incidence, sévérité et prévalence des maladies, dans le but d’élaborer une carte multi-couches.
La Septoriose des feuilles, celle des glumes, et la tache bronzée ont été considérées ensemble lors de la surveillance et ont été notées comme maladies dites type septoriose (MTS) dans le but d’éviter une confusion des symptômes qui sont similaires. Cependant, l’abondance des pycnides de Zymoseptoria (Septoria) tritici, agent causal de la septoriose des feuilles, pourrait impliquer l’abondance relative de cette espèce par rapport aux deux autres.
La sévérité des maladies type septoriose (MTS) a été estimée suivant l’échelle double digit de SAARI & PRESCOT. Pour les rouilles, la sévérité a été basée sur l’échelle modifiée de COBB couplée avec le type de réaction de la plante pour déterminer le coefficient d’infection (CI). Ce dernier (CI) combine la sévérité de la maladie et le type de réaction de la plante et est calculé comme suggéré par Roelfs et al. (1992).
RESULTATS ET DISCUSSION :
La campagne agricole 2019-20, a enregistré une pluviométrie limitée à 205 mm au 22 avril 2020, en baisse de 34% par rapport à la moyenne de 30 ans (323,7 mm) et de 25% par rapport à la campagne précédente (282,1 mm) à la même date. L’impact de cette faiblesse du volume des pluies a été exacerbé par leur mauvaise et irrégulière répartition spatio-temporelle. La campagne a ainsi connu de faibles précipitations à tous les stades de développement des céréales et a été également caractérisée par de longues périodes sèches (près de 40 jours) pendant les périodes de tallage et de montaison. Chose qui a négativement impacté et le rendement des blés et le développement des maladies fongiques.
Le déficit pluviométrique a touché toutes les régions céréalières à un degré plus au moins important. Dans la Chaouia et le Haouz, ce déficit a été de 50% en moyenne. Dans le Saïs, le pré-rif et le Nord, il a varié entre 30 et 45% avec un niveau de précipitation relativement favorable pour la croissance et le développement des céréales. Ainsi, la campagne agricole a été moyenne dans le Saïs et le Gharb et faible dans le reste des régions.
Selon les données du ministère et au titre de la campagne 2019-20, l’estimation prévisionnelle de la production des trois céréales principales est de 30 Millions de quintaux, soit 42% de moins par rapport à la campagne précédente. Cette production estimée est issue d’une superficie céréalière semée au titre de cette campagne agricole de 4,3 millions Ha dont 2 millions Ha complètement perdus en termes de production céréalière en Bour.
Par ailleurs, notre propre estimation montre que la moyenne pondérée du rendement de blé tendre se situe entre 13.4 qx/ha au Gharb et 8.6 qx/hq à Zaïr (Figure 2). La moyenne globale est de 11.2 qx/ha. En multipliant le rendement moyen par la superficie de 2.3 millions Ha, la production serait de 25.8 Millions de quintaux.
Il est à rappeler que les précipitations du mois d’avril ont contribué à l’amélioration
de la situation agronomique des céréales et aussi à l’apparition des maladies notamment la rouille jaune et la rouille noire (Photos 1 et 2).
La surveillance des maladies des blés a concerné les régions du Gharb, Moyen Atlas, Sais, Zair et Zemour (Figure 1). Le nombre de champs inspectés s’élève à 87 pour le blé tendre et à 18 pour le blé dur. Les maladies dites ‘type septoriose’ ont été observées sur 26 et 17% des champs de blé tendre et de blé dur respectivement. La sévérité d’attaque a été très faible. Le maximum de sévérité sur blé tendre a été enregistré sur un champ à Zemour (17.3%) et sur deux champs au Gharb avec 25.9% et 8.6% de sévérité, respectivement. An niveau de ces trois champs, cette sévérité est due vraisemblablement à Z. tritici vue l’abondance des pycnides de cette dernière espèce.
Les champs de blé dur inspectés n’ont pas été attaqués par les maladies type septoriose (MTS) à l’exception de trois champs au Gharb qui ont exhibé une très faible attaque avec absence de pycnides.
Les données de la surveillance soulignent une absence totale des caries, charbon et oïdium sur blé tendre et blé dur. Cependant, les pourritures racinaires, exprimées en % d’épis blanc, ont été détectées sur 11 et 17% des champs de blé tendre et de blé dur respectivement.
La rouille brune a été détectée sur 22 et 17% des champs de blé tendre et de blé dur, respectivement (Figure 3). La quasi-totalité des champs infectés sont dans le Gharb et où la sévérité maximale enregistrée est de 10S.
La rouille jaune n’a pas été détectée sur blé dur et des traces de pustules l’ont été sur un champ de blé tendre au Gharb, au Moyen Atlas et à Zemour.
Enfin, cette surveillance a mis en évidence une menace potentielle de la rouille noire, car cette dernière n’a été détecté que dans deux champs de blé tendre au cours de la campagne 2017-2018 par comparaison à 2018-2019 où la maladie a été observée sur 26% de champs de blé tendre et 17% et de blé dur. Durant la présente surveillance, elle a été notée sur 14 et 22% de champs de blé tendre et de blé dur respectivement (Figure 3). Bien que la sévérité soit faible à modérée sur les deux blés (Figure 1), la prévalence est en augmentation, ce qui pourrait être considéré comme une alarme pour se préparer à cette sérieuse menace, toute en sachant que les variétés marocaines de blé sont très sensibles à Ug99 et ses lignées dans les conditions de Njoro-Kenya (Ramdani et al. 2012).
Tenant compte du mode de dissémination par le vent sur de longue distance des rouilles en l’occurrence la rouille noire, la coopération internationale est une nécessité pour assurer une protection des blés contre les menaces potentielles des nouvelles races virulentes de ces pathogènes. La démarche est d’implémenter un programme d’amélioration anticipatif (anticipatory breeding) pour l’introgression des gènes conférant la résistance aux nouvelles races virulentes détectées dans d’autres pays.
Par ailleurs et en vue de contribuer à l’élaboration du système global d’avertissement des rouilles (Global warning system of rusts), les données relatives à l’incidences et sévérité des rouilles sont à partager avec la communauté scientifique nationale et internationale.
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS :
La campagne 2019-2020 a connu de faibles précipitations à tous les stades de développement des céréales et a été également caractérisée par de longues périodes de sècheresse (près de 40 jours) pendant les périodes de tallage et de montaison, chose qui a négativement impacté le rendement des blés. Pour ce qui est des maladies fongiques, il est important de signaler l’émergence de la rouille noire qui constitue un risque potentiel pour la production de céréales au Maroc. A cet effet, l’implémenter d’un programme anticipatif de lutte contre ce fléau est nécessaire.
Par ailleurs, le futur succès des systèmes de surveillance des maladies dépend de la qualité des observations afin de pouvoir faire une interprétation analytique de l’information. Une telle interprétation se heurte au problème d’interaction d’une extrême complexité entre l’hôte, l’agent pathogène et les paramètres de l’environnement. Aussi, des estimations quantitatives et régulières de la fréquence, de l’abondance ou incidence des organismes dans le temps et dans l’espace sont essentielles pour l’élaboration de modèles prévisionnels des événements plantes-pathogènes. Les observations aux champs collectées à travers de vastes régions peuvent aider à déterminer les tendances régionales d’une population d’un agent pathogène donné et permettent aussi la détection d’un nouveau pathogène et/ou race.
La méthode de surveillance adoptée a permis de collecter des données sur la fréquence et la sévérité des maladies des blés à travers les régions céréalières. Cependant, des limites de la présente méthode résident en : la quasi impossibilité de reconnaître la variété utilisée dans chaque champ ; la non uniformité des stades végétatifs des hôtes dans la même région et à travers les zones prospectées ; et la non disponibilité des données climatiques de chaque région. A cet effet et afin de pouvoir faire des interprétations analytiques fiables des interactions complexes du système plante-pathogène-environnement, on recommande de substituer ou de complémenter la méthode adoptée dans le présent travail par des essais aux champs à travers le pays. Ces essais permettront d’avoir des données fiables de la progression, par région, de chaque maladie sur chaque variété. Ainsi, une interprétation analytique de l’interaction variété*pathogène*environnement sera possible.
Les essais à travers le pays permettront aussi la détection d’une apparition éventuelle d’un nouveau pathogène potentiellement dangereux, surtout avec la mondialisation des échanges de produits agricoles et les changements climatiques. Ils permettront aussi la détection d’une éventuelle perte de résistance d’une variété donnée à un agent pathogène donné.
Pour que cette nouvelle approche de surveillance des maladies soit efficace et moins coûteuse, un à deux techniciens-observateurs de chaque domaine expérimental doivent être formés pour faire des notations fiables sur l’évolution de chaque agent pathogène sur chaque variété.
Références bibliographiques
Elbekali, AY., Ramdani, A., Siah, A., Tisserant, B., Deweer, C., Hafidi, M., Reignault, Ph. and Halama P. 2011. Detection of strobilurin-resistant isolates of Mycosphaerella graminicola in Morocco. Comm. Appl. Biol. Sci, Ghent Univ, 76/2
Farih, A. 1994. Occurrence, distribution and severity of Septoria in Morocco. Fifth Arab Congress of Plant Protection, Fez, Morocco, 27 Nov-2 Dec.
Mazouz, H., Saadaoui, M., Jlibene, M., et Lyamani, A. 1995. Importance des septorioses du blé au Maroc en 1991. AL AWAMIA 91: 63-69.
McIntosh, R.A. 1998. Breeding wheat for resistance to biotic stresses. Euphytica 100:19-34.
Ramdani, A. 1997. Etude du comportement de diverses variétés de Blé Dur à l’égard des maladies foliaires dans les conditions marocaines. In : Cinquième Conférence Internationale sur les maladies des plantes (Fifth International Conference on Plant Diseases). Tome I. Annales ANPP. Tours, France.
Ramdani, A. and Jlibene, M. 1996. Réaction de quelques variétés de blé tendre vis-à-vis des rouilles jaune et brune. pp. 233-236. In: Symposium régional sur les maladies des céréales et des légumineuses alimentaires. 11-14 Novembre 1996, Rabat – Maroc.
Ramdani, A., Jlibene, M., Nsarellah, N., and Udupa, SM. 2009. Effective rust resistance genes in wheat under Moroccan conditions Page 9. Poster Abstracts. BGRI Technical Workshop. Obregon, Mexico, March 17-20, 2009.
Ramdani, A., Yahyaoui, A., Nazari, K. and Udupa, SM. 2010. Effective yellow rust resistance genes in wheat under Moroccan conditions. BGRI Technical Workshop. St. Petersburg, Russia, June 1-4, 2010.
Ramdani, A., Nazari, C, Hodson, D., Lhaloui, S., Abbad-Andaloussi, F. and Nsarellah, N. 2011a. Status of wheat diseases in Morocco during the 2009-10 growing season: Yellow rust is becoming a more dangerous disease. 2011 BGRI Technical Workshop. June 13-16, St. Paul, Minnesota. USA.
Ramdani, A., Nazari, C, Hodson, D., Nachit, M., Lhaloui, S., Abbad-Andaloussi, F. and Nsarellah, N. 2011b. The reason behind the serious outbreaks of wheat yellow rust in Morocco: Yr27 is no longer effective. 2011 BGRI Technical Workshop. June 13-16, St. Paul, Minnesota. USA.
Ramdani, A., Nazari,K., Hodson, D. and Nsarellah, N. 2014a. Effectiveness of Yr genes under high inoculum pressure: Yr15 was the most effective one under Moroccan conditions during the 2012-2013 cropping season. BGRI-2014 Technical Workshop. 22-25 March. Obregon, Mexico.
Ramdani, A., Nazari, C. and Lhaloui, S. 2014b. Effective Yr genes under Moroccan conditions during 2011-2012 and 2012-2013 cropping seasons. 2nd International Wheat Stripe Rust Symposium. Izmir, Turkey. April 28 – May 1, 2014.
Ramdani, A., K. Nazari, D. Hodson, T. Thach, J. Rodriguez-Algaba and M. S. Hovmøller. 2018. Outbreak of Wheat Yellow Rust disease under Moroccan conditions during 2016-2017 cropping season. BGRI 2018 Technical Workshop. 14-17 April 2018, Marrakech, Morocco.
Ramdani, A. 2009. Survey of wheat diseases in Morocco during the 2007-08 growing season. Page 10. Poster Abstracts. BGRI Technical Workshop. Obregon, Mexico, March 17-20, 2009.
Ramdani, A., Nazari, C. and Lhaloui, S. 2014c. Status of wheat rust diseases in Morocco during 2012-2013 cropping season. 2nd International Wheat Stripe Rust Symposium. Izmir, Turkey. April 28 – May 1, 2014.
Ramdani, A., Lhaloui, S., EL Bouhssini, M. and Gamba, F. 2014d. STATUS OF WHEAT AND BARLY DISEASES IN MOROCO DURING 2012-2013 CROPPING SEASON. 11th Arab Congress of Plant Protection Amman Jordan 9-13 November, 2014
Ramdani A., H. Ouabbou, S. Bhavani, K. Nazari, R. Wanyera, S. Lhaloui, F. Abbad Andaloussi, N. Nsarellah, S. Bennani, J. Haddouri and S. M.Udupa. 2012. Resistance to threatening of Puccinia graminis f. sp. tritici and P. striiformis f. sp. tritici races in Moroccan bread wheat cultivars and landraces. BGRI 2012 Technical Workshop. Beijing, China 1-4 September 2012.
Ramdani, A. 2013. Impact des maladies fongiques en particulier les rouilles sur le rendement du blé. Agriculture du Maghreb 67:162-163.
Roelfs, A.P., Singh, R.P. and Saari, E.E. 1992. Rust diseases of wheat: Concepts and methods of diseases management. Mexico, D.F.: CIMMYT. 81 pages.