Le semis direct : mesure d’accroissement des capacités de résilience des systèmes de cultures pluviales dans la région Fès-Meknès. Par Abderrahim Essahat, Abdelhamid Hamal et Abdelhamid Ramdani.

Abderrahim Essahat, Chercheur (SRD-CRRA-Meknès)

Abderrahim Essahat, Chercheur (SRD -CRRA Meknès)

Les études d’impact du changement climatique sur l’agriculture nationale, initiées par le Ministère de l’Agriculture, de la Pêche Maritime, du Développement Rural et des Eaux et Forêts (MAPMDREF) dès le lancement du Plan Maroc Vert (PMV) en 2008, mettent en exergue une différenciation selon les zones agro-écologiques avec une tendance à l’augmentation des températures et la réduction des précipitations annuelles accompagnées d’un rétrécissement des périodes de croissance des cultures.

A cet égard, le Plan National de Lutte Contre le Réchauffement Climatique, élaboré en 2009, préconise, d’une part, des mesures d’atténuation pour agir contre les émissions des gaz à effet de serre (GES) provenant de l’activité agricole et, d’autre part, des mesures d’adaptation pour modérer les conséquences des événements climatiques tels que l’agroforesterie, le semis direct, l’irrigation d’appoint et l’assurance agricole. Aussi, plusieurs projets d’adaptation au changement climatique ont été lancés dans l’objectif d’améliorer la résilience, notamment des petits agriculteurs, au changement climatique à travers des pratiques agricoles climato-résilientes et le renforcement de capacités.

C’est dans ce contexte que s’inscrit le projet « Adaptation au Changement Climatique de l’Agriculture au Maghreb » (ACCAGRIMAG[1]) qui cherche, entre autres, à accroître les capacités de résilience des systèmes de cultures pluviales par l’expérimentation et la diffusion de technologies innovantes d’adaptation au changement climatique. Le choix porte sur le semis direct et le projet cible plus spécifiquement les agriculteurs engagés dans des systèmes de cultures pluviales à dominance céréalière. Assuré par le Centre Régional de la Recherche Agronomique de Meknès (CRRA Meknès), l’accompagnement technique consiste en :  i) Réalisation des essais de démonstration sur le semis direct chez les agriculteurs de la région, ii) Suivi-évaluation des expérimentations, iii) Renforcement de capacités des services techniques et formation des agriculteurs et iv) Capitalisation des résultats et diffusion.

Le présent document retrace, d’une façon synthétique, l’approche globale suivie durant les trois campagnes agricoles 2015-2016, 2016-2017 et 2017-2018 et s’arrête sur les principaux enseignements en rapport avec les perspectives d’une large adoption des systèmes du semis direct dans la région Fès-Meknès ainsi que les contraintes nécessitant plus d’exploration. L’objectif ultime est de promouvoir le semis direct à travers la sensibilisation des agriculteurs des bienfaits de la technologie et de son adaptation à leurs systèmes de production et dans les conditions pédoclimatiques de leur région.

Approche globale

Basée sur un processus multi-acteurs, l’approche globale fait appel à une concertation participative réunissant l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA), la DRA FM et les Directions Provinciales de l’Agriculture (DPA) de la région avec l’implication de

Figure 1. Superficies prévues et réalisées (ha) des essais de démonstration sur le semis direct entre 2016 et 2018 (cadre : Projet ACCAGRIMAG)

Figure 1. Superficies prévues et réalisées (ha) des essais de démonstration sur le semis direct entre 2016 et 2018 (cadre : Projet ACCAGRIMAG)

la Direction Régionale de l’Office National du Conseil Agricole de Fès-Meknès (DRONCA FM) et les Centres du Conseil Agricole (CCA) de la région. Le choix des sites et des parcelles est fait, en commun accord entre les acteurs, sur des critères comme l’accessibilité à la parcelle, le précédent culturale, le statut foncier, la nature et l’exposition de la parcelle (topographie, charge caillouteuses….), la disponibilité de l’agriculteur, etc.

Les superficies visées et le nombre d’agriculteurs touchés ainsi que les modalités

Semoir trainé « SOLA » mobilisé par l’INRA en 2015-2016

Semoir trainé « SOLA » mobilisé par l’INRA en 2015-2016

d’intervention différent entre la première année et la seconde ou la troisième année du projet selon la disponibilité des semoirs de semis direct. En 2016, la DRA Fès-Meknès a acheté 8 semoirs de semis direct dans le cadre du projet ACCAGRIMAG et les a mis à la disposition des groupements d’agriculteurs à raison d’un semoir par DPA à Meknès, El Hajeb, Fès/Moulay yacoub, Sefrou, Taza, Taounate, Ifrane et

Semoir porté « GIL » mis à la disposition des OPA depuis 2016-2017

Semoir porté « GIL » mis à la disposition des OPA depuis 2016-2017

Boulemnae. Un business plan a été élaboré avec les organisations professionnelles agricoles (OPA) bénéficiaires.

A chaque fois, l’opération s’est déroulée en trois phases en présence des acteurs potentiels et des agriculteurs : i) Phase de prospection et de préparation (traitement herbicide), ii) Phase de l’installation de la culture et iii) Accompagnement technique notamment pour la gestion de la fertilisation, des mauvaises herbes et des maladies et ravageurs. Le renforcement de

Figure 2. Nombre de semoirs mobilisés et effectif des bénéficiaires des essais de démonstration sur le semis direct entre 2016 et 2018 (cadre : Projet ACCAGRIMAG)

Figure 2. Nombre de semoirs mobilisés et effectif des bénéficiaires des essais de démonstration sur le semis direct entre 2016 et 2018 (cadre : Projet ACCAGRIMAG)

capacités s’est traduit par l’organisation de trois journées de formation à Ras Tabouda (Province de Sefrou), au Qualipôle Alimentation de Meknès et au Domaine expérimental de l’INRA à Douyet ainsi qu’un voyage de groupe dans une exploitation pilote en semis direct à Ras Jerry dans la province d’El Hajeb. Ces rencontres constituaient un espace de dialogue et de concertation entre les différents acteurs et les agriculteurs afin d’identifier en commun accord les défis et les opportunités d’amélioration de la production dans les systèmes du semis direct.

Principaux enseignements

Par rapport aux perceptions et attitudes des agriculteurs vis-à-vis les systèmes du semis direct, une nette méfiance a été exprimée majoritairement par les bénéficiaires au lancement de l’installation des cultures particulièrement durant la première campagne agricole 2015-2016.  Selon les agriculteurs, l’opération du labour et de travail du sol avant l’installation des cultures constitue une condition incontournable pour pouvoir produire. Néanmoins, et à travers les résultats probants des trois campagnes agricoles très contrastées climatiquement[2], les agriculteurs se sont montrés quasi-unanimes quant aux gains facilement perceptibles :

  • Gain de productivité par rapport au semis conventionnel en particulier en année sèche ou moyenne.
  • Gain considérable d’énergie (gasoil).
  • Gain dans les frais de réparation et d’usage du tracteur et des outils de labour ou de travail du sol.
  • Gain de temps et opportunité d’accès à la parcelle.

En examinant l’évolution de l’étendu du programme sur les trois campagnes agricoles, les superficies des essais de semis direct (Figure 1) et le nombre de bénéficiaires (Figure 2) ont connu une augmentation spectaculaire traduisant la volonté des agriculteurs d’expérimenter la transition vers les systèmes du semis direct. Certes, cette évolution est strictement conditionnée par l’effectif des semoirs de semis direct mobilisés dans cette opération d’une année à l’autre. Néanmoins, le besoin d’acquérir des semoirs spécialisés a été ressenti auprès de plusieurs agriculteurs. D’une façon générale, les OPA et les agriculteurs ont été conscients du fait que la durabilité de l’utilisation du semoir du semis direct conditionne la réussite du programme. Celle-ci dépendrait de plusieurs critères, à savoir : i) Nécessité de couvrir les charges d’utilisation et d’entretien du semoir en adoptant un prix préférentiel d’utilisation du semoir par les adhérents et les non adhérents à l’OPA ; ii) Nécessité d’assurer un entretien continu du matériel ; iii) Nécessité de disposer d’un tracteur en bon état capable d’atteler le semoir et faire le travail convenablement en fonction de la nature du terrain ; et iv) Assurer, dans la mesure du possible, l’utilisation du semoir par des agriculteurs non adhérents à l’OPA.

L’assistance technique apportée au cours de ces trois campagnes agricoles au programme de semis direct a permis d’entretenir un réseau d’agriculteurs et d’acteurs régionaux au tour des exigences et des spécificités des systèmes du semis direct. Cependant, pour une passage réussi de l’agriculture conventionnelle aux systèmes du semis direct, la transition doit tenir compte des considérations suivantes :

i)     Raisonnement du système : choix des cultures et des rotations, gestion des résidus, fertilisation, luttes phytosanitaires, équipement utilisé et sa disponibilité au moment opportun de semis, conditions d’intervention.

ii)   Information et formation : accompagnement technique.

iii) Transition progressive en fonction de la maîtrise des facteurs de production et des exigences des systèmes du semis direct.

 


[1] Entre 2015-2016, marquée essentiellement par un retard notable de précipitations et un volume annuel à peine satisfaisant, et 2017-2018 très favorable climatiquement et marquée par une bonne répartition des précipitations tout au long de la campagne.


[1] Le projet ACCAGIMAG est financé par le Fonds Français pour l’Environnement Mondial (FFEM) à travers l’Agence Française de Développement (AFD) et mis en œuvre par le Ministère de l’Economie et des Finances (MEF) sous la maîtrise d’ouvrage du MAPMDREF avec l’exécution assurée par l’Agence pour le Développement Agricole (ADA), la Direction Régionale de l’Agriculture de Fès-Meknès (DRA FM) et la Direction Financière du MAPMDREF.

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