Gestion intégrée des maladies fongiques du blé. Par Dr. Abdelhamid Ramdani (Mycologie, URPP – CRRA Meknès)

Dr. Ramdani Abdelhamid, Chercheur - Unité de recherche Protection des Plantes - INRA Meknès
Dr. Ramdani Abdelhamid, chercheur au CRRA Meknès

La céréaliculture joue un rôle primordial dans l’économie nationale. La superficie moyenne emblavée en céréales chaque année est d’environ 5 millions d’hectares, soit près de 60% de la surface agricole utile (SAU), dont 2 millions d’hectares dédiés au blé tendre et 1 million d’hectares au blé dur. Cependant, la production céréalière varie selon les saisons et ne couvre pas la demande intérieure. Le déficit est ainsi comblé par l’importation qui est un véritable fardeau pour l’économie nationale. Ce déficit est dû au faible niveau de rendement qui est en fait la résultante de plusieurs contraintes structurelles et biophysiques : plus de 90% des aires de cultures sont en régime pluvial ; un morcellement de plus en plus accru des parcelles (héritage); un faible taux d’utilisation des semences certifiées et de pesticides; les pertes en rendement de 10 à 80% occasionnées par les contraintes biotiques ; et le faible niveau d’adoption de nouvelles technologies notamment la variété. Le développement de la filière céréalière est tributaire de la maîtrise de l’ensemble de sa chaine de valeur dont l’ossature est la maîtrise des différentes composantes de l’itinéraire technique, notamment le volet protection phytosanitaire, sachant que les blés sont attaqués par de nombreuses maladies cryptogamiques dont principalement les rouilles et la septoriose. Les pertes en rendement occasionnées par ce fléau sont en moyenne de 20% sur le blé tendre et de 10% sur le blé dur. Les deux piliers pour lutter contre ces maladies sont l’utilisation des variétés résistantes et les traitements phytosanitaires.

Les rouilles et la septoriose du blé : résultats de la recherche et proposition de stratégie de lutte

Le volet protection phytosanitaire a une importance capitale dans l’itinéraire technique des céréales. En effet, les blés sont sujets à de nombreuses contraintes biotiques notamment les maladies cryptogamiques en l’occurrence la septoriose, la rouille jaune et la rouille brune qui occasionnent des pertes substantielles en rendement sous nos conditions (Figures 1 et 2).

Planche 1 (image 1): Effet des maladies foliaires sur le rendement

Figure 1 : Effet des maladies foliaires sur le rendement

Planche 1 (image 2) : Effet des maladies foliaires sur le rendement

Figure 2 : Effet des maladies foliaires sur le rendement

Les surveillances menées annuellement à travers les principales zones céréalières révèlent que les maladies les plus redoutables sont les rouilles et la septoriose des feuilles. Les mêmes tendances ont été rapportées durant les années précédentes à l’exception de la rouille jaune (Figures 3 et 5) qui, jadis limitée aux zones limitrophes des hautes altitudes, a été détectée dans toutes les régions prospectées. L’extension de cette maladie est vraisemblablement due à l’émergence de nouvelles races adaptées aux températures clémentes et qui sont virulentes contre les gènes de résistance présents dans les variétés cultivées dans notre pays.  La rouille brune occasionnée par Puccinia triticina  est relativement la plus fréquente dans toutes les zones céréalières (Figure 5).

Planche 2 : Attaque précoce de rouille jaune

Figure 3 : Attaque précoce de rouille jaune

Planche 3 : Témoin sensible ravagé par les attaques combinées de rouille jaune et septoriose

Figure 4 : Témoin sensible ravagé par les attaques combinées de rouille jaune et septoriose

Ces deux groupes de maladies occasionnent des pertes en rendement allant de 10 à 100% selon les conditions climatiques et le degré de sensibilité  de la variété utilisée. Si la variété est sensible et les conditions climatiques sont favorables à des attaques précoces et au développement des maladies au cours du cycle de la culture (Figure 3), les pertes pourraient atteindre 100% (Figure 4). En général, les pertes en rendement occasionnées par ces maladies sont en moyenne de 20% sur le blé tendre et de 10% sur le blé dur.

Quant à la rouille noire (ou rouille des tiges), bien qu’elle soit relativement moins fréquente et peu importante dans nos conditions, elle présente un risque potentiel pour la production du blé suite à l’émergence dans certains pays de nouvelles races virulentes contre les gènes de résistance. C’est le cas notamment de la race Ug99 qui a surmonté la résistance du gène Sr31 (Figures 6, 7 et 8). Le Maroc n’est donc pas à l’abri des menaces de cette nouvelle race, sachant que, d’après les travaux de l’INRA menés à Njoro (Kenya) en 2011, la quasi-totalité de nos variétés de blé sont sensibles à cette nouvelle race.

Planche 4 : Attaque simultanée de rouilles jaune et brune

Figure 5 : Attaque simultanée de rouilles jaune et brune

Planche 5 (image 1) : Symptômes de rouille noire   sur feuilles, tige et épi (Njoro Kenya, 2011)

Figure 6 : Symptômes de rouille noire sur feuilles, tige et épi (Njoro Kenya, 2011)

La septoriose des feuilles causée par Zymoseptoria tritici (Mycosphaerella graminicola) est une maladie dévastatrice sous nos conditions. L’inoculum primaire est communément connu comme étant constitué de pycnidiospores issues des pycnides (petites boules noires) formées sur les chaumes et débris contaminés. En présence d’humidité, ces pycnides libèrent les pycnidiospores et contaminent les feuilles de base du blé sur lesquelles se développe la maladie sous forme de taches jaunes, devenant brunâtres avec formation de nouveaux pycnides (maladie polycyclique) (Figure 9). Ces dernières libèrent à leur tour des pycnidiospores qui sont disséminées vers les étages supérieurs des feuilles de la même plante et de plante à plante par les éclaboussures. Par ailleurs, nos études sur la génétique du champignon et nos observations sur le terrain assurent que l’inoculum primaire est aussi formé d’ascospores transportées par le vent à partir de pseudothèces formées sur les chaumes de l’année précédente. Ce qui signifie que la rotation culturale réduit le taux d’inoculum primaire mais ne contrôle pas définitivement la maladie.

Planche 5 (image 2) : Symptômes de rouille noire   sur feuilles, tige et épi (Njoro Kenya, 2011)

Figure 7 : Symptômes de rouille noire sur feuilles, tige et épi (Njoro Kenya, 2011)

Les deux piliers pour lutter contre ces maladies sont donc l’utilisation de variétés résistantes et les traitements phytosanitaires. Or, l’efficacité de ces mesures n’est pas durable à cause, d’une part, de l’évolution perpétuelle des  agents pathogènes pour surmonter la résistance du blé

et/ou l’efficacité des fongicides et, d’autre part, du mode de dissémination qui est assuré principalement par le vent et sur de longues distances. L’émergence de nouvelles races de rouilles surmontant l’efficacité du gène Yr27 pour le cas de la rouille jaune (détectées au Maroc) et l’efficacité du gène Sr31 (races Ug99) pour le cas de la rouille noire (détectées en Uganda en 1999) ainsi que la détection pour la première fois au Maroc des isolats de Septoria tritici résistants aux strobilurines, sont des exemples qui confirment à la fois la non perpétuité de l’efficacité de la résistance génétique de l’hôte, conférée notamment par des gènes majeurs, ni de l’efficacité des fongicides mono-site.

Planche 5 (image 3) : Symptômes de rouille noire   sur feuilles, tige et épi (Njoro Kenya, 2011)

Figure 8 : Symptômes de rouille noire sur feuilles, tige et épi (Njoro Kenya, 2011)

A cet effet, le regroupement des efforts continus de tous les acteurs est nécessaire pour l’élaboration, la mise en œuvre et le suivi de l’efficacité d’une stratégie de lutte efficace, efficiente et

Planche 6 : Symptômes de septoriose (Septoria tritici) : les petites boules noires (pycnides) contiennent des milliers de pycnidiospores

Figure 9 : Symptômes de septoriose (Septoria tritici) : les petites boules noires (pycnides) contiennent des milliers de pycnidiospores

Figure 10 : Pycnides de septoriose (points noirs sur la photo)

Figure 10 : Pycnides de septoriose (points noirs sur la photo)

durable. Les quatre principales composantes d’une telle stratégie sont : la surveillance, l’élaboration de modèles prévisionnels et le contrôle des maladies ;  l’amélioration génétique pour une résistance durable ; l’inscription au catalogue officiel et l’adoption rapide des nouvelles variétés résistantes.

Gestion durable des risques des maladies

Une stratégie nationale pour une gestion durable des risques des maladies doit se baser sur trois actions à savoir la prévention, la prédiction et la réactivité.

L’action préventive consiste à suive l’évolution génétique des agents pathogènes aussi bien au niveau national que régional et international pour incorporer la résistance d’une manière anticipative. Les sources de résistances sont issues de germplasm international et/ou des variétés anciennes. Des études menées par l’INRA à NJORO (Kenya) en 2011 sur le comportement des variétés locales marocaines de blé à l’égard de la nouvelle race de la rouille noire (Ug99) ont révélé la présence de sources prometteuses de résistance. Ces sources sont donc à utiliser dans nos programmes d’amélioration.

L’utilisation de variétés résistantes est certainement le moyen le plus efficient pour gérer et contrôler les maladies. Or, la création de ces variétés nécessite beaucoup d’investissement. Pour valoriser cet investissement et cet effort, l’adoption rapide desdites variétés est cruciale. Néanmoins, la rapidité de l’adoption est tributaire de l’action de tous les partenaires officiels mais aussi de l’encouragement du système informel de multiplication et de distribution des semences. Par ailleurs, et afin d’assurer au maximum la durabilité de la résistance d’une variété donnée à une maladie donnée, il est fortement préconisé de ne pas cultiver les variétés hautement sensibles afin de réduire au maximum le taux d’inoculum et en conséquence la pression de sélection de l’agent pathogène sur les variétés résistantes. C’est le cas notamment des variétés Marchouch, Salama, Virgil,  Achtar et Granota qui sont complètement ravagées par la rouille jaune.

L’action prédictive consiste à suivre l’évolution de l’état de la culture du blé et à détecter les premiers symptômes des maladies et prévoir les risques d’épidémies en élaborant des modèles prévisionnels de prévention et de gestion des maladies. 

Dans le cas d’une campagne favorable au développement des maladies foliaires en l’occurrence la rouille jaune et la septoriose et qui serait aussi favorable pour une bonne récolte, la protection (action réactive) du blé est fort nécessaire et est économiquement rentable. Dans ce cas, le recours aux fongicides est inévitable. Or, cette action suppose la disponibilité d’un stock de sécurité en fongicides qui devrait être géré en suivant le principe de ‘premier entré premier sorti’ (First in first out principal). Les premiers produits entrés en stock devraient être utilisés en premier (devraient être priorisés lors des interventions fongicides) afin d’éviter le problème de validité des fongicides et en conséquence d’éviter les problèmes de gestion de fongicides périmés. 

Par ailleurs, l’utilisation répétée de fongicides mono-sites pourrait entraîner l’émergence de souches résistantes et donc la perte de l’efficacité du produit. Il est à rappeler que des souches de Septoria tritici résistantes aux strobilurines ont été détectées. Il est donc fortement recommandé d’utiliser des fongicides ayant au moins deux matières actives avec différents modes d’action pour assurer une bonne protection du blé et une durabilité de l’efficacité du fongicide.

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