Amélioration de la résistance de la cécidomyie chez le blé dur au Maroc : Acquis et perspectives. Par Dr Moha Ferrahi (Amélioration génétique des céréales, URAPCRG – CRRA Meknès)

Dr Moha Ferrahi, chercheur au CRRA Meknès

Dr Moha Ferrahi, chercheur au CRRA Meknès

L’importance de la filière des céréales est bien démontrée par l’étendue de son occupation des sols, sa contribution à la satisfaction des besoins de la population et du cheptel et son poids socioéconomique. Les céréales constituent aussi l’une des rares alternatives culturales adaptées aux zones pluviales du climat aléatoire du type méditerranéen. Parmi les contraintes de production des blés au Maroc, la cécidomyie, Mayetiola destructor, qui engendre chaque année des pertes de rendement considérables (30 à 40%) aussi bien sur le blé tendre, Triticum aestivum, que sur le blé dur, Triticum turgidum. La résistance génétique offre le moyen le plus efficace et économique pour contrôler la cécidomyie. Plus de 30 gènes (H1 à H31) ont été identifiés chez les espèces de Triticum/Aegilops et le seigle (McIntosh et al. 1998), et sont utilisés dans les programmes d’amélioration du blé tendre.

Le mécanisme de résistance est sous forme d’antibioses dans lequel les larves de l’insecte de première génération meurent juste après qu’elles commencent à se nourrir des plantes possédant le gène de résistance. La relation de gène-pour-gène existe entre la résistance chez le blé et la virulence chez l’insecte. La virulence est conditionnée par des gènes récessifs alors que la résistance chez le blé est conditionnée par des gènes dominants (Hatchett et Gallun, 1970). Comme conséquence de cette relation spécialisée, 16 biotypes de l’insecte (désignés GP (Great Plains) et de A jusqu’à O) ont été isolés à partir du champ. Ils se distinguent par leur habilité à infester des blés avec des gènes spécifiques de résistance.

Un grand nombre de transferts entre chromosomes homoeologues ont été réussis chez le blé tendre (Friebe et al. 1996 ; Sears, 1993), alors que peu de progrès est réalisé chez le blé dur (Ceoloni et al. 1996 ; Luo et al. 1996). Cet handicap est expliqué par la faible capacité du tampon que possède le blé dur par rapport au blé tendre (Ceoloni et al. 1996 ; Joppa, 1993). Les transferts des génomes A et B du blé tendre, Triticum aestivum, peuvent être accomplis par le biais de la recombinaison entre les chromosomes homologues, alors que les transferts du génome D du blé tendre au blé dur nécessite l’utilisation des mutants du gène Ph, responsable de l’inhibition de l’appariement entre homoeologues, pour induire l’appariement entre les chromosomes distants. Luo et al. (1996) ont utilisé deux cycles de recombinaison entre homoeologues pour transférer le gène Kna1 conditionnant la tolérance à la salinité (ratio K+/Na+) du chromosome 4D du blé tendre au chromosome 4B du blé dur. Après le premier cycle de recombinaison, une seule translocation terminale a été obtenue alors que des translocations intercalaires ont été obtenues après le deuxième cycle. Ceoloni et al. (1996) ont transféré le gène de résistance à l’oïdium Pm13 d’Aegilops longissima du blé tendre au blé dur. Les mêmes auteurs ont transféré le gène de résistance à la rouille brune Lr19 d’Agropyron elongatum au chromosome 7A du blé dur.

Plus récemment un grand progrès a été réalisé en matière d’amélioration de la résistance à la cécidomyie chez le lé blé dur au Maroc. Ce progrès réside notamment dans le transfert des gènes dérivant du seigle (H21 et H25) au blé dur (Ferrahi et al. 2017a) et également des gènes (H22, H23, H24, et H26) dérivant du donneur du génome D au blé, Aegilops tauschii Coss. (2n=2x=14, DD) au blé dur (Ferrahi et al. 2017b). Ces différents gènes offrent une bonne résistance à un large spectre de biotypes de la mouche de Hesse, et peuvent augmenter la durabilité de la résistance s’ils sont déployés d’une manière raisonnable. Dans cet article nous rapportons les transferts de ces gènes au blé dur.

I. Transfert des gènes dérivant du seigle : H21 et H25

Le transfert a été accompli par des croisements directs entre blé dur et blé tendre (sachant que le transfert initial a été fait entre seigle et blé tendre) puis la sélection des plantes possédant une translocation et ayant un nombre de chromosomes équivalent à celui du blé dur qui est de 28 chromosomes. Ensuite, la technique d’hybridation génomique in situ (GISH) a été utilisée pour s’assurer de la réussite des transferts (Figure 1).

Figure 1 : Résultat du transfert des gènes H21 et H25 au blé dur (Ferrahi et al., 2017a).

Figure 1 : Résultat du transfert des gènes H21 et H25 au blé dur (Ferrahi et al., 2017a).

 

II. Transfert des gènes dérivant de Aegilops tauschii : H22, H23, H24 et H26

Les parents résistants (WGRC01, WGRC03, WGRC06, et WGRC26) ont été croisés avec les lignées disomiques de substitution LND 1D(1A), LND 6D(6A), LND 3D(3A), et LND 4D(4A), respectivement. Quatre-vingt-huit croisements ont été réalisés entre les germplasmes résistants et les lignées disomiques de substitution LND pour essayer de transférer les gènes de résistance à la cécidomyie du génome D du blé tendre au génome A du blé dur. Les plantes de première génération F1 sont disomiques pour un chromosome du génome D (1D pour LND 1D(1A), 3D pour LND 3D(3A), 4D pour LND 4D(4A), et 6D pour LND 6D(6A)), monosomiques pour un chromosome du génome A (1A pour WGRC01, 6A pour WGRC03, 3A pour WGRC06, et 4A pour WGRC26), et finalement monosomiques pour 6 chromosomes du génome D. Les plantes F1 ont été croisées en retour comme femelles avec les lignées de substitution LND 5D(5B) pour promouvoir la recombinaison entre les chromosomes homoeologues. 2053 familles ségrégantes BC1F1 ont été testées pour leur résistance à la cécidomyie et les plantes résistantes ont été soit croisées en retour avec les lignées de substitution LND 5D(5B) pour produire la descendance BC2F1 ou autofécondées pour produire la génération BC1F2. Ensuite nous avons procédé à la caractérisation des transferts en utilisant la technique des microsatellites (Figure 2).

I.1. Le transfert du gène H22 :

Cinq familles ont dévié du ratio 1:1 des plantes résistantes aux plantes sensibles en faveur des plantes résistantes. Une telle déviation par rapport au ratio attendu indique un changement structurel au niveau des chromosomes. La ségrégation a varié de 14 :1 pour la famille 0232 à 5 :1 pour la famille 0231. Deux familles avec des taux de ségrégation élevés ont été choisies pour les analyses cytologiques et pour plus de croisements en retour en vue d’améliorer la fertilité.

I.2. Le transfert du gène H23 :

Deux familles provenant de la première date de semis et 15 de la deuxième ont eu plus de plantes résistantes que sensibles. Les taux de ségrégation ont varié de 40 :1 pour les familles 0272 et 0279 et 5 :1 pour la famille 0252. Les cinq familles présentant les taux les plus élevés de plantes résistantes, ont été choisies pour les analyses cytologiques et pour plus de croisements en retour en vue d’améliorer la fertilité.

I.3. Le transfert du gène H24 :

Sept familles BC1F1 dérivant de la deuxième date de semis ont montré un excès de plantes résistantes par rapport aux plantes sensibles. Les taux de ségrégation ont varié de 17 :1 pour les familles 0237 et 0241, 7 :1 pour les familles 0238 et 0243. Cinq familles présentant des taux élevés de plantes résistantes par rapport aux plantes sensibles ont été choisies pour les analyses cytologiques et pour plus de croisements en retour en vue d’améliorer la fertilité.

I.4. Le transfert du gène H26 :

Uniquement une seule famille (0244), a été choisie à partir des familles BC1F1 pour l’évaluation cytogénétique et l’avancement dans le programme de croisement pour améliorer la fertilité de l’épi.Les familles issues des transferts ont été évaluées par le biais des marqueurs moléculaires (microsatellites, SSR) dans le cadre d’un autre travail. Ce travail a montré que des translocations ont été générées essentiellement pour les deux gènes H22 et H23.

Figure 2 : Exemple des analyses moléculaires par microsatellites pour la confirmation du transfert des gènes de résistance (Ferrahi et al., 2017).

Figure 2 : Exemple des analyses moléculaires par microsatellites pour la confirmation du transfert des gènes de résistance (Ferrahi et al., 2017).

 

Conclusion

Dans cette étude, plusieurs transferts ont été réalisés et ont montré des niveaux de résistance à la mouche de Hesse très élevé. Ces germplasmes de blé dur ont été caractérisés et sont actuellement utilisés pour le développement des variétés résistantes. Ces différents gènes de résistance offrent une protection au blé dur contre la cécidomyie et permettent d’élargir la variabilité génétique de cette espèce.

Figure 3 : Des essais montrant que seules les variétés possédant un gène de résistance à la cécidomyie arrivent à se développer (Ferrahi et al., 2017).

Figure 3 : Des essais montrant que seules les variétés possédant un gène de résistance à la cécidomyie arrivent à se développer (Ferrahi et al., 2017).

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