L’auto-incompatibilité chez l’olivier : pour une production oléicole efficiente et durable. Par Dr Ahmed El Bakkali (Chercheur, CRRA Meknès)

Dr Ahmed El Bakkali, Chercheur en biotechnologie et amélioration des plantes, URAPCRG - CRRA Meknès
Dr Ahmed El Bakkali, Chercheur en biotechnologie et amélioration des plantes, URAPCRG – CRRA Meknès

L’auto-incompatibilité (Self-incompatibility), un mécanisme pré-zygotique de post-pollinisation empêchant l’autofécondation chez les plantes hermaphrodites, est une caractéristique commune chez 40% des plantes à fleurs. Parmi les espèces végétales possédant un système d’auto-incompatibilité fonctionnel, les espèces cultivées revêtent une importance particulière car son système d’auto-incompatibilité interfère directement avec la production fruitière, ce qui représente un obstacle majeur pour un rendement élevé et stable d’une année à l’autre.

Pollinisation chez l’olivier

L’olivier est une espèce dioïque à fleurs hermaphrodites et partiellement autogame. La pollinisation est anémophile et le tube pollinique atteint la base du style 3-4 jours après la germination du pollen. Malgré l’importance socio-économique, écologique et culturelle de l’olivier, son système de reproduction est encore controversé. Les variétés capables de produire des fruits par autofécondation sont supposées existantes, mais cette supposition est rarement soutenue par les tests de paternité.

Sans tenir compte du phénomène de l’alternance qui est génétiquement contrôlé chez l’olivier, il est bien connu que le rendement et la qualité des fruits dépendent d’une série de facteurs depuis l’année précédant la floraison. Généralement, produire des grains de pollen suffisants, en quantité et qualité, et avoir un taux de nouaison de 5-7% dépendent des variétés et des conditions d’environnement. Sans oublier l’incidence de certains ravageurs et maladies (p. ex. la teigne de l’olivier), les facteurs climatiques se sont montrés déterminants en affectant directement l’induction, la différentiation florale et la floraison.

L’efficacité de la pollinisation en verger d’olivier nécessite en plus de l’inter-compatibilité entre variétés, liée bien évidemment au génome de l’espèce, un ratio d’arbres de variétés pollinisatrices/variétés de base de l’ordre de 10 à 20%, qui peut être modélisé en tenant compte de : (1) le chevauchement de la floraison entre les variétés pollinisatrices et celles de base, (2) la richesse en pollen des variétés pollinisatrices, (3) les distances entres les arbres des variétés pollinisatrices et de base, (4) la longueur de la période de pollinisation effective, (5) la durée de viabilité du pollen, (6) la disposition géométrique des arbres dans le verger (carré ou rectangle) et (7) l’orientation des lignes de plantation en fonction de la direction des vents.

Mécanisme génétique de l’auto-incompatibilité chez l’olivier

A la lumière des découvertes récentes chez d’autres espèces proches de l’olivier, de la famille Oleaceae; Filaire (Phillyrea angustifolia L.) et Frêne à fleur (Fraxinus ornus L.) et grâce à une collaboration fructueuse entre des équipes de chercheurs français, italiens et marocains, le mode de reproduction et le mécanisme génétique déterminant l’auto-incompatibilité chez l’olivier ont été étudiés et clarifiés. Des tests stigmatiques pré-zygotiques ont été réalisés en procédant à des pollinisations sur plusieurs variétés selon des dispositifs réciproques croisés. Lorsque le stigmate et le pollen sont compatibles, plusieurs tubes polliniques convergent à travers le tissu stigmatique vers le style jusqu’à la base du stigmate et l’entrée du style. L’absence ou la présence de courts tubes polliniques sans atteindre le style sont utilisées comme critère d’incompatibilité (Figure 1).

Figure 1. Exemples de tests stigmatiques effectués pour évaluer l'auto-incompatibilité chez deux variétés d’olivier appartenant à deux groupes de compatibilité différents: Arbequine (G1) et Azeiteira (G2). (a) et (c) Les pollens des deux variétés ne germent pas sur leurs propres stigmates indiquant l'auto-incompatibilité de ces variétés; (b) et (d) développement des tubes polliniques chez les deux variétés en cas de pollinisation croisée attestant la compatibilité inter-variétale; Les flèches indiquent la base du stigmate et l'entrée du style. M: génotype utilisé comme parent mâle; F: génotype utilisé comme parent femelle (Saumitou-Laprade et al., 2017)

Figure 1. Exemples de tests stigmatiques effectués pour évaluer l’auto-incompatibilité chez deux variétés d’olivier appartenant à deux groupes de compatibilité différents: Arbequine (G1) et Azeiteira (G2). (a) et (c) Les pollens des deux variétés ne germent pas sur leurs propres stigmates indiquant l’auto-incompatibilité de ces variétés; (b) et (d) développement des tubes polliniques chez les deux variétés en cas de pollinisation croisée attestant la compatibilité inter-variétale; Les flèches indiquent la base du stigmate et l’entrée du style. M: génotype utilisé comme parent mâle; F: génotype utilisé comme parent femelle (Saumitou-Laprade et al., 2017)

Les tests réalisés ont mis en évidence deux groupes de reproduction (nommés G1 et G2). Aucun tube pollinique n’atteint le style dans aucun des pistils observés dans le cas des auto-fécondations, confirmant la présence d’un système fort d’auto-incompatibilité chez l’olivier. Les tubes polliniques n’ont pas poussé du tout (Figure 1a) ou leur croissance s’est arrêtée très tôt à la base du stigmate sans atteindre le style (Figure 1d). Pour les tests de pollinisation inter-variétale, les interactions tube pollinique/stigmate suggèrent l’existence de réactions d’incompatibilité. Une réaction similaire à l’auto-fécondation a été observée chez les variétés appartenant au même groupe (G1 ou G2) contrairement à une compatibilité entre deux variétés lorsqu’elles appartiennent à des groupes différents (Figure 1b et 1c). En outre, aucune des variétés n’était simultanément compatible ou incompatible avec les deux groupes, ce qui prouve que seulement deux groupes de reproduction sont présents chez l’olivier.

Perspectives d’application du modèle en deux groupes de reproduction

Deux groupes de reproduction ont été mis en évidence chez l’olivier. Les variétés d’un groupe ne peuvent produire de fruits qu’après leur croisement avec les variétés de l’autre groupe. De même, la pollinisation croisée entre les variétés du même groupe génère une incompatibilité. La mise en évidence d’un système en deux groupes chez l’olivier offrira indubitablement des opportunités futures à savoir :

1- L’optimisation de la production oléicole

Tableau 1. List des principales variétés d’olivier cultivées au Maroc, leur origine et leur classement en groupes de reproduction

Tableau 1. List des principales variétés d’olivier cultivées au Maroc, leur origine et leur classement en groupes de reproduction

La mise en évidence d’un tel système permet de comprendre l’effet bénéfique, jusqu’à maintenant non expliqué, des pratiques ancestrales qui encouragent la plantation d’un nombre minimum de variétés pour assurer une production oléicole satisfaisante. A titre d’exemple, l’utilisation des variétés Picholine de Languedoc, Frantoio et Arbequine, appartenant aux groupes G1 comme pollinisatrices de la variété Picholine marocaine du groupe G2  (Tableau 1).

Afin de faire face aux conditions climatiques défavorables et aux phénomènes d’alternance, il est recommandé d’utiliser différentes variétés inter-fertiles en bloc de 3-4 rangées. De ce fait, une base de données d’environ 100 variétés a été mise en place avec leur classification en deux groupes (Saumitou-Laprade et al., 2017). Une telle classification permettra de suggérer de nouvelles pistes pour le développement des pratiques de gestion des oliveraies à travers le raisonnement justifié des combinaisons variétales à installer dans les vergers (4-6 variétés dans un même verger). D’autres études, en particulier des expérimentations pratiques aux champs, devraient être développées afin de clarifier la meilleure structure d’un verger et le nombre optimal de variétés à introduire pour une pollinisation et une production oléicole optimales.

2. Le développement de nouvelles pistes pour la recherche scientifique

Malgré que des variétés auto-fertiles soient rapportées dans la littérature, à l’image de la variété Koroneiki, nous n’avons pas pu confirmer ce constat dans notre étude. De ce fait, la sélection de variétés auto-fertiles est un critère qu’il faut intégrer dans les schémas de sélection variétale. En outre, les données obtenues permettront un raisonnement du choix des variétés performantes au niveau agronomique et compatibles à l’inter-croisement dans les schémas de sélection. D’autres travaux sont nécessaires afin de localiser le gène impliqué dans la compatibilité pour des applications futures dans la sélection assistée par marqueurs moléculaires.

Conclusion

De toute évidence, les vergers mono-variétaux doivent être évités. De même, il va falloir éviter la mise en place, dans un même verger, des variétés pollinisatrices et de base appartenant au même groupe de reproduction. En plus du phénotype de compatibilité, G1 ou G2, la plantation devrait prendre en compte d’autres paramètres importants tels que la phénologie de la floraison, la direction du vent pendant la période de floraison et la position relative des différentes variétés dans le verger.

Référence

Saumitou-Laprade P, Vernet P, Vekemans X, Billiard S, Gallina S, Essalouh L, Mhaïs A, Moukhli A, El Bakkali A, Khadari B. et al., (2017) Elucidation of the genetic architecture of self-incompatibility in olive: consequences for orchard management. Evolutionary applications 10(9): 867–880.

 

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