L’explosion démographique et la nécessité de satisfaire les besoins alimentaires ont poussé les recherches scientifiques et agronomiques à investir des études de plus en plus poussées dans le cadre de nouveaux programmes d’amélioration génétique. En effet, l’agriculture naguère traditionnelle et généralement pratiquée dans des agro-écosystèmes vivriers, s’inscrit désormais dans un mode intensif basé le plus souvent sur des cultures monovariétales. Toutefois, l’étroite base génétique des cultivars modernes cultivés constitue un obstacle majeur au maintien ainsi qu’à l’amélioration de la productivité en raison de la vulnérabilité des variétés génétiquement uniformes aux nouveaux stress biotiques et abiotiques. De ce fait, les ressources phyto-génétiques représentent un énorme réservoir naturel de gènes et de caractères à exploiter dans des schémas d’amélioration génétique. Les outils moléculaires et statistiques permettent actuellement d’identifier des gènes contrôlant des caractères d’intérêt agronomique, de les isoler et de les transférer dans des plantes appartenant à la même espèce ou à une espèce différente. Dans un but de prédictibilité et d’efficacité, la sélection sera de plus en plus assistée par marqueurs. L’objectif à terme est d’arriver à combiner dans un génome tous les gènes d’intérêt, tout en limitant les essais multiples sur le terrain qui s’avèrent coûteux et laborieux.
Le déterminisme génétique des caractères d’intérêt agronomique et adaptatif peut être abordé par l’étude de populations en ségrégation (cartographie de liaison, linkage mapping) mais aussi par l’étude de génotypes non-apparentés par la génétique d’association (association mapping). Cependant, quel matériel à étudier est une question centrale, en particulier pour les espèces pérennes telle que l’olivier méditerranéen (Olea europaea L. ssp. europaea) avec des clones devant être maintenus et évalués pendant plusieurs années et dans différent environnements. Malgré son importance socio-économique et sa grande diversité (plus de 1200 variétés), les études du déterminisme génétique des caractères agronomiques demeurent toujours au stade préliminaire chez l’olivier en comparaison avec d’autres espèces pérennes telles que la vigne ou le pommier.
L’étude de la diversité et de la structure génétique de l’olivier cultivé est ainsi entreprise dans l’objectif majeur de définir les dispositifs génétiques adéquats pour mener des travaux à long-terme sur la génétique d’association gène/caractère chez l’olivier. Dans cette optique, la diversité génétique chez l’olivier cultivé a été examinée selon trois échelles géographiques : (i) méditerranéenne avec 557 accessions issues de 14 pays en collection à Tassaoute (Marrakech, Maroc) ; (ii) locale marocaine avec un total de 128 accessions dont 88 collectées selon le savoir local des paysans et 40 en collection ex-situ à Tassaoute ; et (iii) locale française avec 121 accessions en collection ex-situ sur l’île de Porquerolles (France).
L’analyse avec 17 marqueurs microsatellites nucléaires et 39 marqueurs chloroplastiques montre une diversité génétique élevée dans les deux collections ; Méditerranéenne et française, soulignant l’importance d’exploiter ces ressources génétiques pour des études d’association gènes/caractères dans un réseau de partenaires multidisciplinaire. La collection méditerranéenne est structurée en trois pools génétiques reliés à la provenance des variétés et aux processus de domestication et de diversification de l’olivier : Est, Centre, et Ouest de la Méditerranée (Figure 1). En revanche, les variétés françaises sont hautement admixées par les trois pools génétiques.
Concernant les ressources génétiques locales marocaines, les résultats montrent que les accessions en collection à Marrakech ne représentent qu’une partie de la diversité potentielle marocaine en comparaison avec la diversité génétique globale. En outre, la stratégie adoptée basée sur la sélection des oliviers dans les différents agro-écosystèmes au Maroc selon le savoir local des paysans (88 accessions) n’a pas abouti aux résultats attendus, en termes de diversité génétique, en raison de la dominance d’un seul génotype : Picholine marocaine. En tenant compte des processus de domestication et de diversification de l’olivier à l’Ouest de la Méditerranée, une collection locale marocaine représentative de l’extrême Ouest de la Méditerranée trouve toute son importance pour la génétique d’association de l’olivier. Une telle collection peut contenir à la fois des formes domestiquées et des oliviers sauvages indigènes avec un maximum de variabilité agro-morphologique et génétique. Ainsi, la poursuite des prospections, afin d’enrichir et compléter la diversité locale en collection, est une étape importante. Ceci permettra de (i) conserver les ressources locales, sans considération agronomique immédiate, contre l’érosion génétique (ii) valoriser ces ressources par l’application de la sélection génomique ; et (iii) sélectionner de génotypes performants et adaptés aux conditions locales.
Ce travail de recherche s’est ensuite intéressé au teste de différentes méthodes et tailles d’échantillonnage en vue de construire des core collections de taille pertinente, représentatives de la diversité génétique existante, et adaptées à la génétique d’association. Une nouvelle méthodologie d’échantillonnage en deux étapes permettant un compromis entre les différents paramètres génétiques examinés fut en conséquence proposée. La première étape consiste à construire une core collection primaire (CC50) capturant le maximum de diversité (82%) avec une liste définitive et incontournable de 50 variétés. Dans la deuxième étape, la méthodologie permet d’avoir une flexibilité dans le choix des génotypes en vue de compléter la diversité génétique manquante. Les core collections finales (CC94) permettent un choix rationnel du matériel à étudier tout en assurant une représentativité de la diversité génétique, de la géographie et de l’importance économique des variétés dans un sous-ensemble de génotypes de taille réduite (94 variétés). L’analyse de la structure montrent que les core collections méditerranéenne sont structurées en deux pools génétiques : Est et Ouest/Centre contrairement à trois pools dans la collection de base (Figure 1), tandis que celle locale française, les génotypes montrent une forte admixture. D’après le coefficient d’apparentement, la majorité des génotypes des deux core collections proposées sont peu ou non-apparentés. Ceci peut se traduire par une variation phénotypique importante indiquant, par conséquent, que plusieurs caractères peuvent être évalués et diverses associations marqueurs/caractères peuvent être estimées en utilisant le même dispositif génétique. En outre, plus de déséquilibre de liaison (d’après le paramètre multilocus r̅d) est observé dans la core collection locale française que dans celle méditerranéenne qui vraisemblablement est le résultat d’un processus d’admixture récente dans le germplasme français. En termes d’analyses, deux dispositifs génétiques complémentaires sont proposés pour l’étude des relations gènes/caractères chez l’olivier : (i) génétique d’association en utilisant la core collection méditerranéenne ; et (ii) cartographie du mélange génétique (admixture mapping) en utilisant la core collection locale française.
L’installation et l’évaluation de l’une des core collections proposées selon un dispositif randomisé et dans plusieurs environnements peut servir de levier pour une dynamique et une synergie entre les chercheurs sur la génétique de l’olivier. En appliquant les nouveaux outils technologiques de re-séquençage à haut-débit, l’évaluation phénotypique du matériel choisi permettra de décomposer le déterminisme génétique contrôlant les caractères d’intérêt agronomique tels que : l’architecture de l’arbre, la régularité de production, le rendement, la tolérance aux agresseurs biotiques et abiotiques, la teneur et la qualité d’huile, etc… Ceci n’exclut bien entendu pas l’installation et l’évaluation en parallèle de populations d’oliviers sauvages, représentatives de l’Est et de l’Ouest de la méditerranée. En outre, le développement de populations en ségrégation et leur évaluation en parallèle pour les mêmes caractères pourrait compléter la détection des QTL à effets majeurs versus QTL à effets mineurs. Ces populations permettront sans doute de localiser des liaisons nouvelles gènes/caractères mais aussi de valider les résultats obtenus par la génétique d’association.
Les résultats obtenus jusqu’à présent et les perspectives qui en découlent constituent une base scientifique solide pour amorcer les études de génétique d’association et représentent un réel levier pour consolider les collaborations existantes ainsi que pour élaborer de nouvelles collaborations scientifiques entre chercheurs de différentes disciplines.
NDLR : Travail de thèse de doctorat soutenue à l’Université de Gand – Belgique (janvier 2014).