LA SELECTION DE L’OLIVIER A L’ERE DE LA GENOMIQUE : QUELS APPORTS POUR L’AMELIORATON GENETIQUE DE L’ESPECE ?

Lamoumni Othmane,
PhD student
INRA CRRA Meknès – UCA FST Marrakech

Par : Lamoumni Othmane1,2, Khadari Bouchaib3,4, El Bakkali Ahmed2

1Université Cadi Ayyad, Marrakech ; 2INRA, CRRA-Meknès ;

3AGAP Institut, CIRAD, Montpellier, France ; 4CBNMed Montpellier, France

L’olivier, arbre caractéristique de la région méditerranéenne, se trouve confronté aux contraintes liées au changement climatique marqués par des hivers de plus en plus doux et des étés plus secs, chauds et longs. L’impact de ce changement sur l’olivier constitue un défi majeur pour la résilience et la durabilité de l’oléiculture non seulement au Maroc mais à l’échelle méditerranéenne. Devant cette situation, la recherche scientifique devrait explorer plusieurs voies pour répondre aux attentes de la filière dans les prochaines années. De par sa longue histoire évolutive en Méditerranée depuis plus de 6000 ans, l’olivier est caractérisé par une grande diversité génétique où plus de 1200 variétés sont décrites et conservées en collections sans considérer les oliviers locaux non encore caractérisés et les populations sauvages d’olivier in-situ. Cette richesse en ressources génétiques représente un réservoir de gènes et de caractères à valoriser dans les programmes d’amélioration génétique en vue de sélectionner de nouvelles variétés plus résilientes aux conditions climatiques futures. Etant un arbre pérenne caractérisé par une longue phase juvénile, la sélection de nouvelles variétés par les voies classiques est un processus long et coûteux à cause du temps et de l’espace nécessaires à l’évaluation phénotypique de génotypes candidats à la sélection. Les programmes d’amélioration génétique devraient prendre en considération les nouvelles avancées en génomique pour pouvoir accélérer la sélection variétale tout en répondant aux nouvelles attentes de la filière dans un contexte de changements globaux.

Progrès significatifs et prometteurs dans la génomique de l’olivier

Les travaux sur l’olivier ont longtemps été axés sur la caractérisation et l’identification des ressources génétiques en vue de connaître la diversité locale au niveau de chaque pays oléicole. Les premiers travaux ont été basés sur l’utilisation des marqueurs de type RAPD, ISSR, RFLP, et AFLP pour l’identification et la caractérisation de l’olivier cultivé et/ou sauvage. La mise en place des marqueurs spécifiques à l’olivier de type microsatellites (SSR) a apporté de nouvelles perspectives dans les travaux sur l’espèce. Grâce à leur reproductibilité, simplicité et leur pouvoir discriminant élevé, les SSR sont devenus des marqueurs de choix dans les travaux portant sur la génétique de l’olivier tels que : (i) la caractérisation et l’identification des ressources génétiques, (ii) l’étude de son histoire évolutive de domestication et de diversification à l’échelle méditerranéenne (Besnard et al., 2018), et (iii) la construction des cartes génétiques pour la localisation des QTLs (Quantitative Traits Loci) associés à des traits phénotypiques.

D’autres études ont porté sur la mise en place d’outils de génotypage haut-débit relativement peu coûteux à savoir le génotypage par séquençage (Genotyping By Sequencing; GBS) permettant de combiner entre l’identification de variants moléculaires à l’échelle du génome et le génotypage de plusieurs échantillons à la fois. Toutefois, l’utilisation de cette approche chez l’olivier reste limitée et très peu de travaux ont été réalisés jusqu’à présent aussi bien pour l’étude de la diversité génétique (D’Agostino et al., 2018 ; Zhu et al., 2019 ; Julca et al., 2020) que pour la génétique des caractères (cartographie de liaison et génétique d’association) (İpek et al., 2016 & 2017 ; Marchese et al., 2016 ; Kaya et al., 2019).

La réduction des coûts de séquençage haut-débit a encouragé la conception des projets d’assemblage des génomes des espèces d’intérêt agronomique. Chez l’olivier, une première tentative de séquençage et d’assemblage du génome complet de la variété « Farga » a fait l’objet d’une publication d’un génome sous forme de séquences d’ADN sans affectation aux chromosomes (version Oe6 ; Cruz et al., 2016). Cette première version a été améliorée en ancrant le génome sur une carte génétique permettant ainsi une meilleure assignation des séquences assemblées aux différents chromosomes de l’olivier (version Oe9 ; Julca et al., 2020). En utilisant la même approche que celle de Julca et al. (2020), un autre génome d’un olivier sauvage (Olea europaea var. sylvestris) a été aussi assemblé et publié par Unver et al. (2017). Ce retard dans l’acquisition des ressources génomiques est principalement dû à la taille élevée du génome de l’olivier, estimé à 1,4 GB, et à la proportion élevée des motifs en répétition ce qui rend difficile et coûteux un assemblage de qualité à l’échelle chromosomique. Grâce au progrès technologique réalisé dans la troisième génération de séquençage et la combinaison de plusieurs technologies basées sur des Long-reads (PacBio HiFi, Oxford Nanopore, et Hi-C), il est devenu possible de réaliser un assemblage de qualité avec un coût raisonnable. Grâce à ces nouvelles technologies, Rao et al., (2021) et Wang et al. (2022) ont pu mettre en place les premiers génomes de qualité suffisante de la variété « Arbequina » et d’O. europaea ssp. Cuspidata, respectivement.

Le génome seul n’est pas suffisant pour comprendre la fonction des gènes chez l’espèce. Des progrès significatifs ont été réalisés dans l’analyse du transcriptome (partie codante du génome) en mettant l’accent sur l’identification des gènes potentiellement exprimés dans les différents organes de l’arbre (Muñoz-Mérida et al., 2013 ; Unver et al., 2017 ; Liu et al., 2020 ; Ramírez-Tejero et al., 2020), au cours du développement du fruit (Alagna et al., 2009 ; Galla et al., 2009), sous stress abiotique (Calvo-Polancoa et al., 2019 ; Bazakos et al., 2012 ; Mousavi et al., 2019) ou biotique tels que : Xylella fastidiosa (Giampetruzzi et al., 2016), Verticillium dahliae (Perez et al., 2017 ; Jiménez-Ruiz et al., 2019) et Bactrocera oleae (Grasso et al., 2017). Ainsi, Unver et al. (2017) et Rao et al. (2021) ont pu prédire plus de 50 mille gènes codants pour des protéines dont 93% ont été confirmés par l’approche RNA-seq à partir des feuilles, des racines et des fruits à différents stades.

Malgré l’importance de la filière et les avancées technologiques réalisées par les différentes équipes de recherche aussi bien dans l’acquisition des données génomiques que dans le traitement bio-informatique des données, les études du déterminisme génétique des caractères d’intérêt agronomique et des voies de régulations des gènes chez l’olivier demeurent toujours au stade préliminaire.

La génomique de l’olivier : une discipline émergeante dans le programme de l’INRA

Depuis longtemps, les travaux sur la génétique occupent une composante principale dans le programme de recherche sur l’olivier à l’INRA. Plusieurs travaux ont été réalisés visant entre autres la caractérisation des ressources génétiques moyennant des marqueurs moléculaires. Différentes ressources génétiques ont été caractérisées et étudiées, tels que les ressources locales dans différentes régions du Maroc (El Bakkali et al., 2013), les variétés étrangères conservées en collections ex-situ de l’INRA (Haouane et al., 2011 ; El Bakkali et al., 2019 & 2020) ainsi que l’olivier sauvage collecté au Maroc (Zunino et al., 2024). Les résultats de ces travaux ont mis en évidence la richesse et la spécificité de la diversité génétique contenues aussi bien dans les collections de l’INRA que dans les populations locales au Maroc.

Dans l’objectif d’approfondir les connaissances sur le génome de l’olivier en exploitant les nouvelles avancées dans le domaine du séquençage haut-débit, un projet de recherche (ClimOliveMed/ClimGenOlive ; https://www.climolivemed.com/ ; 2022-2026) a été mis en place impliquant deux consortiums ; marocain et français, avec un cofinancement des deux pays. Plusieurs équipes de recherche contribuent à ce projet ; l’INRA Maroc, l’Université Cadi Ayyad, le CIRAD, l’INRAe, l’IRD et le CNRS. Le projet est construit à base d’une dimension multidisciplinaire consciente de l’importance d’intégrer divers outils d’acquisition de la donnée génomique et de traitement de l’information acquise. Le projet vise à combiner plusieurs technologies de séquençage (Short et Long-reads) à différents niveaux de couverture (re-séquençage du génome complet de 200 variétés et séquençage par capture de gènes de 320 variétés). Un deuxième objectif consiste à mettre en place deux génomes de référence de très haute qualité pour deux variétés largement cultivées au Maroc et en France ; « Picholine marocaine » et « Picholine du Languedoc », en combinant les dernières technologies de séquençage à celles de la cartographie génétique classique. De plus, dans les deux prochaines années, l’exploitation de la richesse phénotypique et génotypique de la collection mondiale de Marrakech, avec plus de 300 variétés d’olivier identifiées par les outils moléculaires, est envisagée à travers l’identification des associations gènes-caractères par l’approche GWAS (Genome-Wide Association Studies) en mettant l’accent sur deux aspects clés liés au changement climatique à savoir l’adaptation à la sécheresse et au manque du froid hivernal. La combinaison d’approches représente une des stratégies clés dans le programme actuel de l’INRA en exploitant la complémentarité dans le niveau de résolution de l’information apportée par les deux approches ; GWAS et cartographie de liaison (QTL mapping). Dans ce sens, des données génomiques et phénotypiques acquises dans le cadre des travaux précédents seront utilisées pour construire des cartes génétiques, à partir des populations F1 d’olivier, en vue d’identifier et localiser des QTLs associés aux dates de floraison et à la taille du fruit.

Une attention particulière est dédiée au stockage des ressources génomiques et au partage de l’information générée dans le cadre du programme. De ce fait, les données (assemblage et annotation des génomes, les variants alléliques, les associations SNP-caractères…) seront mises en ligne sur un portail intégratif incluant des outils de « Genome Browser » accessible à la communauté scientifique. Une première version est déjà mise en ligne et sera complétée au fur et à mesure du traitement des données génomiques.

Grâce aux progrès réalisés, jusqu’à présent, dans l’acquisition de l’information génomique et dans le traitement bio-informatique de l’information acquise, la collaboration au sein du consortium du projet avec des compétences complémentaires et des questions d’intérêt commun, les chercheurs impliqués dans ces travaux auront une vision sans précédent sur les fonctions des gènes de l’olivier. L’identification des gènes potentiellement associés aux caractères d’intérêt agronomique à savoir, les dates de floraison, les besoins en froid pour la floraison, l’adaptation à la sécheresse, la taille du fruit, etc. ouvrira la voie à de nouvelles perspectives dans la sélection variétale. En effet, les questions examinées et les résultats recherchés permettront de prédire le phénotype en fonction des conditions environnementales à l’aide des modèles de prédiction génotype-phénotype tout en limitant le coût et le temps demandés dans les essais d’évaluation aux champs. Ces avancées vont inaugurer dans les années prochaine, la nouvelle ère de sélection génomique basée sur les avancées technologiques dans le séquençage haut-débit et le traitement bio-informatique rapide de l’information.

Références bibliographiques :

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