Le caroubier (Ceratonia siliqua L.) est un arbre à feuilles persistantes appartenant à la famille des fabacées, originaire du Moyen-Orient. Historiquement cantonné à des milieux forestiers, il a néanmoins été domestiqué pour la valorisation de ses gousses, utilisées, notamment dans l’alimentation humaine et animale. La propagation du caroubier s’est étendue de son habitat d’origine à l’ensemble du bassin méditerranéen (Zohary, 2002), où il fut introduit par les Grecs en Grèce et en Italie, puis par les Arabes le long de la côte nord de l’Afrique et dans le sud-est de l’Espagne. Le caroubier s’est ainsi répandu jusqu’au sud du Portugal et au sud-est de la France (Viruel et al., 2020). Il a également été introduit avec succès dans d’autres pays à climat similaire au bassin méditerranéen, tels que l’Australie, l’Afrique du Sud, les États-Unis (Arizona et Californie du Sud) et les Philippines (Di Guardo et al., 2019). Pendant des siècles, la propagation du caroubier dans ces régions s’est opérée par semis, avant d’être récemment assurée par greffage. Les arbres sélectionnés au hasard ont servi de base à la sélection des cultivars et à l’établissement de vergers commerciaux (Ramón-Laca et Mabberley, 2004).
Le Maroc est parmi les grands producteurs de caroubes à l’échelle mondiale, au côté du Portugal, de l’Italie et de l’Espagne. La production annuelle moyenne de gousses produites s’élève à environ 59 700 T sur une superficie récoltable de 11 160 Ha. Celle-ci est constituée essentiellement de peuplements spontanés en zones de piémonts des montagnes du Moyen-Atlas (Khenifra, Zaouiate Chikh, etc.), du Haut-Atlas (Beni Mellal, Azilal, etc), de l’Anti-Atlas et du Rif (Benmahioul et al., 2011). Les nouvelles plantations, encore à leur stade juvénile, sont estimées à 7 000 Ha à la fin de l’année 2020, haussant ainsi la superficie totale à 18 160 Ha. Ces plantations, en forme de verger fruitier, sont basées sur des génotypes productifs greffés, sélectionnés par les pépiniéristes au sein des peuplements locaux. A noter qu’un objectif de 100 000 Ha est fixé par les stratégies « Génération Green » et « Forêt du Maroc » en termes d’extension de cette culture à l’horizon 2030 (MAPMDREF, 2020). A l’origine de cette ambition stratégique, le pouvoir adaptatif de l’espèce à la sècheresse et aux sols pauvres, combiné à la demande accrue en caroubes par les industries alimentaires et cosmétiques, aussi bien à l’échelle nationale qu’internationale. En effet, ces marchés constituent la principale destination des exportations qui concernent les graines et certains produits dérivés (gomme, flocons, semoule, farine).
Les potentialités du caroubier en tant que culture apte à valoriser les terres semi-arides et marginales du Maroc sont indéniables, et cet arbre constitue ainsi un objectif stratégique des stratégies agricoles et forestières. L’exceptionnelle faculté de ses racines à pénétrer différents types de sols, même les plus rocailleux, invite à recommander le caroubier comme une alternative prometteuse pour lutter efficacement contre la désertification et l’érosion des sols (Correia et Pestana, 2018). Des travaux de recherche ont attesté de la capacité du caroubier à mieux résister au stress hydrique que d’autres espèces telles que le chêne vert, le cèdre et l’olivier, assurant des productions sécurisantes en zones arides, avec une pluviométrie de 250-350 mm (Zouhair, 1996 ; Baker et Procopiou, 2000). En outre, étant un arbre tempéré, le caroubier pousse et produit mieux sous des climats à hivers doux, offrant ainsi une perspective intéressante pour la valorisation des terres en zones littorales, caractérisées par des disponibilités limitées en froid (Ramón-Laca et Mabberley, 2004). Généralement, l’extension des plantations de caroubier est freinée par le risque des gelées, tant printanières qu’hivernales, ce qui limite sa culture aux basses altitudes, soit jusqu’à 1000 m (Correia et al., 2020). Par ailleurs, d’autres facteurs environnementaux viennent limiter la culture du caroubier, tels que la forte humidité de l’air en hiver pouvant impacter sa pollinisation ainsi que la présence de sols hydromorphes, qui exposent la plante au risque d’asphyxie racinaire (Dafni et al., 2012).
Le Maroc, riche de ses potentialités naturelles, a la possibilité d’améliorer considérablement sa compétitivité dans la production et la valorisation des caroubes, voire même devenir le premier producteur au monde compte tenue des niveaux élevés des rendements au concassage des gousses, comparativement aux autres pays. Cette perspective implique non seulement l’accroissement des superficies plantées, mais également une intensification de la culture, auxquels l’INRA s’est aligné pour accompagner le dynamisme de cette filière. Notons que les recherches sur le caroubier restent jusqu’à présent peu avancées, aussi bien à l’échelle nationale et même internationale, comparativement à d’autres spéculations fruitières. À l’INRA, le programme de recherche sur le caroubier, initié depuis une quinzaine d’année avec des investigations sur le patrimoine local, a été articulé autour de trois axes stratégiques complémentaires, à savoir : i) l’amélioration et la conservation des ressources génétiques, ii) le développement de techniques de productions éco-efficientes, et iii) la diversification de l’offre en termes de valorisation technologique des caroubes.
Les travaux en amélioration génétique portent sur l’évaluation des distances génétiques au sein des populations locales, localisées essentiellement dans les régions de Fès-Meknès, Beni Mellal-Khénifra et Souss-Massa. Ceci, à travers des caractérisations morpho-métriques, biochimiques et moléculaires. A l’issue de ces travaux, une première collection ex-situ nationale de présélections greffées a été mise en place au domaine Ain Taoujdate pour leur évaluation en système fruitier, dont quatre s’avèrent, à present, des candidats potentiels pour leur proposition à l’intensification de la culture. Les principaux traits de sélection sont principalement l’année d’entrée en production, le niveau de rendement et les paramètres pomologiques de la graine et la pulpe.
Pour assurer l’adoption à grande échelle des sélections variétales, des activités de recherche sur l’optimisation des techniques de multiplication rapide et massive sont programmées en parallèle à la sélection. Il s’agit de la multiplication par bouturage et in-vitro (micro-bouturage, organogenèse, embryogenèse somatique), dont les procédés restent à nos jours non maitrisés. Ceci, tout en œuvrant pour améliorer le taux de réussite du greffage, qui constitue la principale méthode de multiplication adoptée actuellement par les pépiniéristes.
En termes de gestion durable des systèmes de production, les recherches portent sur l’optimisation de la nutrition hydrominérale des arbres sous des contextes contraignants de pénurie d’eau et de salinité du sol. Elles consistent également à l’amélioration de la protection phytosanitaire de la culture, en commençant par des inventaires des ravageurs et maladies potentiels dans les peuplements locaux, principalement au niveau des régions de Beni Mellal et Souss-Massa.
L’axe de recherche sur la valorisation technologique de la production concerne principalement la transformation de la pulpe, des graines et des feuilles. Les produits dérivés cibles pour la valorisation de la pulpe concernent la farine, le sirop, le vinaigre et substituant du cacao dans la production du chocolat. Pour les graines, les recherches sont davantage axées sur les procédés d’extraction de la gomme. Quant aux feuilles, les activités portent sur leur valorisation en tant que substituant de la présure dans l’industrie laitière.
Ce programme ambitieux à l’œuvre permettra certes de générer de grandes retombées pour la promotion de la filière du caroubier, aussi bien en amont qu’en aval. Néanmoins, sa réussite dépendra également du développement d’un partenariat avec d’autres institutions de recherche œuvrant pour cette spéculation, ainsi que les départements du ministère et acteurs de l’ensemble de la chaine de valeur.
Références
Baker, E.A. and Procopiou, J. (2000). The leaf and fruit cuticles of selected drought tolerant plants. Acta Hortic. 527, 85-94.
Benmahioul, B., Harche, M. K., & Daguin, F. (2011). Le caroubier, une espèce méditerranéenne à usages multiples. Forêt méditerranéenne, 32(1), 51-58.
Correia, P. J., Cota, T., & Pestana, M. (2020). Evaluation of carob tree productivity during a 30-Year Period, in relation to precipitation and air temperature. Environmental Processes, 7(4), 1221-1233.
Correia, P. J., Gama, F., Pestana, M., & Martins-Loução, M. A. (2010). Tolerance of young (Ceratonia siliqua L.) carob rootstock to NaCl. Agricultural Water Management, 97(6), 910-916.
Correia, P. J., Pestana, M. (2018). Exploratory analysis of the productivity of carob tree (Ceratonia siliqua) orchards conducted under dry-farming conditions. Sustainability, 10(7), 2250.
Dafni, A., Marom-Levy, T., Jürgens, A., Dötterl, S., Shimrat, Y., Dorchin, A., … & Witt, T. (2012). Ambophily and “super generalism” in Ceratonia siliqua (Fabaceae) pollination. Evolution of Plant-Pollinator Relationships., 326-355.
Di Guardo, M., Scollo, F., Ninot, A., Rovira, M., Hermoso, J. F., Distefano, G., … & Batlle, I. (2019). Genetic structure analysis and selection of a core collection for carob tree germplasm conservation and management. Tree Genetics & Genomes, 15(3), 1-14.
MAPMDREF. (2020). Présentation de la stratégie « Forets du Maroc 2020-2023 ». Document internet, consulté en avril 2022, https://www.agriculture.gov.ma.
Ramón-Laca, L., & Mabberley, D. J. (2004). The ecological status of the carob-tree (Ceratonia siliqua, Leguminosae) in the Mediterranean. Botanical Journal of the Linnean Society, 144(4), 431-436.
Viruel, J., Le Galliot, N., Pironon, S., Nieto Feliner, G., Suc, J. P., Lakhal‐Mirleau, F., … & Baumel, A. (2020). A strong east–west Mediterranean divergence supports a new phylogeographic history of the carob tree (Ceratonia siliqua, Leguminosae) and multiple domestications from native populations. Journal of Biogeography, 47(2), 460-471.
Zohary, D. (2002). Domestication of the carob (Ceratonia siliqua L.). Israel Journal of Plant Sciences, 50(sup1), 141-145.
Zouhair, O. (1996). Le caroubier : situation actuelle et perspectives d’avenir. Document interne, Eaux et forêts, Maroc, 22.