
Dr Jamal Charafi, chercheur, Biotechnologie et amélioration des plantes, URAPCRG – CRRA Meknès
A l’instar de la majorité les filières agricoles au Royaume, l’arboriculture fruitière a connu depuis le lancement du « Plan Maroc vert » un développement considérable soit en matière de la superficie ou de la production. La superficie de la filière a augmenté avec plus de 46% pour dépasser 377 000 ha. Elle occupe désormais 5% de la superficie agricole utile nationale. Les plantions sont concentrées en grande partie dans les régions Fès-Meknès (27%), Tanger-Tétouan-Al Hoceima (20%) et l’Oriental (13%). La production a presque doublé, avec une moyenne annuelle qu’est passée de 812 000 avant 2007 à environ 1,57 million de T entre 2015 et 2019. Malgré son grand développement, l’arboriculture fruitière reste toujours confrontée aux plusieurs contraintes d’ordre technique, environnementale et sociale. L’utilisation de variétés certifiées et authentiques est l’un des premiers éléments essentiels pour assurer une bonne productivité et une meilleure qualité pour les fruits de différentes espèces. La source de matériel génétique en culture diffère d’une espèce à une autre. Pour les rosacées comme le pommier, le prunier, le pêcher et le poirier, les variétés étrangères sont les plus cultivées et les importations dominent le secteur variétal. Ainsi, pour ces espèces les confusions des dénominations sont rares et leur présence est souvent liée aux problèmes d’étiquetage ou de la malveillance chez le pépiniériste ou l’agriculteur.
Cependant, pour plusieurs espèces, classées parmi les arbres rustiques, comme le figuier et le grenadier, la filière souffre de l’absence de variétés sélectionnées et authentiques. Ce type d’espèces sont connues généralement, au niveau national, par leur grande diversité génétique. Ainsi, pour longtemps, leurs cultures sont basées sur un matériel génétique issu en grande partie de la sélection paysanne et sur des échanges de boutures entre les agriculteurs. Ce type de sélection remonte à des millénaires avec une identification des génotypes sur la base des caractères morphologiques comme la taille, la forme et le goût du fruit et la couleur de l’épiderme. D’ailleurs, ces arbres fruitiers sont souvent accompagnés d’une connaissance non précise de variétés qu’est due à la sélection qui s’effectue généralement dans les populations naturelles, aux problèmes de confusion variétale et aux problèmes de synonymie et d’homonymie.
Les dénominations des cultivars par les populations ou les agriculteurs sont généralement attribuées selon les caractéristiques de l’arbre ou de fruit ou elles sont issues de la culture locale. Ainsi, lorsque le cultivar passe d’une région à une autre ou d’une société à une autre ayant une culture différente, la nomenclature peut être modifiée, partiellement ou totalement. Cela est dû généralement aux adaptations phonétiques du nom ou au changement de dénomination qui peut être lié aux conditions de l’apparition de la variété, au nom de celui qui l’a introduite, à la modification d’un caractère morphologique ou pomologique due par exemple aux nouvelles conditions pédoclimatiques, au porte-greffe, etc. Ces facteurs sont la cause de l’apparition des problèmes des confusion variétaux les plus fréquents.
Les problèmes de confusion variétale, surtout les synonymies et les homonymies, constituent les grandes difficultés qui rencontrent le chercheur lors de la prospection, la caractérisation pomologique et la sélection. La présence des synonymies chez une espèce est déterminée par la présence de différentes appellations pour le même cultivar. Ainsi, les homonymies sont présentes lorsque les cultivars qui sont différents génétiquement se retrouvent avec la même dénomination.
Confusions variétales chez le figuier
Le figuier est l’une des espèces les plus connues par sa grande diversité génétique. Sa culture se caractérise par une hétérogénéité variétale exceptionnelle où toutes les dénominations actuelles sont issues de la sélection paysanne qu’a été effectuée directement dans la nature sur la base de critères qualitatifs et quantitatifs. La diversité au sein de figuier au Maroc est difficile à estimer. Les problèmes des synonymies et d’homonymies sont les premières contraintes de l’identification des cultivars. La propagation des figuiers est essentiellement réalisée via le bouturage et les échanges des clones entre les agriculteurs. Cette technique de multiplication contribue à la confusion variétale, surtout que les variations somaclonales sont des phénomènes très courants chez les espèces propagées végétativement. En effet, plusieurs études ont montré que les cultivars largement cultivés au Maroc sont de type polyclonal avec une grande présence des problèmes de synonymie et d’homonymie.
Parmi les types de confusion variétale qui sont largement connus chez le figuier on trouve les problèmes de synonymies.
Pour le figuier, la présence des synonymies est classée en deux types :
Les vraies synonymies : il s’agit des cultivars qui portent des dénominations différentes mais ils ont des mêmes caractères pomologiques et un profil génétique identique. Pour ce cas, les études ont cité des exemples comme les cultivars « Johri » et « El Messari » ayant une couleur verte de l’épiderme, une forme de fruit de type pyriforme et une couleur interne rouge. Même constation a trouvé pour les cultivars de dénominations « Filalia » et « Ain Hajla » qui ont des figues de mêmes propriétés pomologiques (Fruit globuleux, de couleur externe rougeâtre, petit calibre, …).

Photo du fruit des cultivars dénommés « Filalia » ou « Ain Hajla »
Les fausses synonymies : c’est pour des cultivars qui portent la même dénomination et ayants des profils génétiques identiques ou très proches et leurs caractéristiques pomologiques sont identiques à l’exception de la couleur de l’épiderme. Ces variétés ont souvent une indication précisant la couleur du fruit. Ces fausses synonymies correspondent vraisemblablement à des cas de mutations soma- clonales. Ce type de confusion on la retrouve parmi les cultivars de la collection de domaine expérimental d’Ain Taoujdate. Comme exemple on a « El Qouti Lazrak » et El Qouti Labyad » qui ont les mêmes propriétés pomologiques sauf la couleur qu’a changé du vert clair au vert-bleuâtre comme leurs dénominations l’indiquent.

Photos des figues des cultivars El Qouti Labyad »

Photo du fruit des cultivars dénommés « Filalia » ou « Ain Hajla »
Pour les problèmes d’homonymies, la majorité des cas de confusion sont dus à la couleur de l’épiderme du fruit. Les études pomologiques et moléculaires réalisées ont permet de distinguer deux types d’homonymies :
Le premier type correspond aux génotypes qui sont proches génétiquement et ils ont généralement issus de variations soma-clonales dues aux multiplications végétatives de longue durée. Des travaux de recherche de l’INRA ont montré que les cultivars « Rhoudane », « Zerki » et « Biyadi » sont très proches génétiquement et les différences de couleur sont vraisemblablement issues de mutations spontanées.

Ghoudane (à gauche) et Bayadi
Le deuxième type correspond aux cultivars ayants des caractéristiques pomologiques distinctes et des profils génétiques différents et qui portent la même dénomination. A titre d’exemple, en trouve la dénominations « Rhoudane » qu’est l’appellation de plusieurs génotypes, qui ont une couleur de l’épiderme sombre (violet-noir), mais ils ont des formes de fruit différentes.
Confusions variétales chez le grenadier
Le matériel génétique du grenadier en culture au Maroc est en grande partie de type local et très diversifié. Les dénominations des cultivars sont généralement liées aux origines géographiques des cultivars comme « Bzou » et « Rouge de Marrakech », ou aux paramètres pomologiques comme la couleur de l’épiderme (Serfi , Grenade rouge, Grenade jaune), la dureté des pépins (Aadmi ), la forme de fruit ( Ounk Hmam ), etc.. Cette situation en plus de l’absence de variétés sélectionnées et authentiques chez les pépiniéristes a pour conséquence la multiplication des problèmes de confusions des dénominations entre les cultivars.

Sefri 1
Les problèmes d’homonymies sont les plus courant chez le grenadier. La caractérisation moléculaire a montré, par exemple que plusieurs cultivars dénommés « Sefri » sont génétiquement distincts et cette confusion est due à la similarité de la couleur de l’épiderme. La collection de l’INRA renferme deux cultivars avec la même appellation, même

Sefri 2
couleur de l’épiderme mais qui sont différents de point de vue des graines (dureté), de la teneur et l’acidité du jus. D’autre part, les paires de cultivars comme « Bouâdime Bzou » et « Kharaji Bzou »; « Ruby » et « Papenschell » sont très proches génétiquement ce qui amène à les considérer comme des synonymies issus des mutations soma-clonales.
Les problèmes de confusion variétaux chez le grenadier sont faiblement étudiés, mais la diversité génétique de l’espèce au niveau national et le grand nombre d’appellations paysannes poussent à prédire que les confusions des dénominations seraient vraisemblablement grandes au niveau national.
Conclusion
Les agroécosystèmes marocains traditionnels abritent une grande diversité des espèces cultivées. Ils sont considérés des centres de diversité pour plusieurs espèces arboricoles comme le figuier, amandier, olivier, abricotier, caroubier, etc. Ainsi, pour une partie de ces espèces leur culture se caractérise par une remarquable hétérogénéité variétale avec des dénominations qui sont issues des sélections opérées par des agriculteurs locaux sur la base de critères qualitatifs et quantitatifs. Les niveaux réels de la diversité génétique de ces espèces sont actuellement difficiles à estimer en raison des problèmes de confusion variétale. Des grands efforts de prospections, de caractérisations phénotypiques et moléculaires sont nécessaires pour évaluer cette diversité et la majorité des problèmes des appellations. Un tel travail constituera une base pour les programmes de conservation des ressources génétiques, de sélection variétale et des programmes d’amélioration génétique.
Références
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